La Pologne a gagné, la démocratie a gagné, nous les avons chassés du pouvoir !

C’est ainsi que Donald Tusk, candidat de l’opposition, a annoncé le 15 octobre 2023 la victoire de sa coalition aux élections législatives polonaises. Ces élections ont été extrêmement suivies dans le pays et dans le reste de l’Union européenne car elles avaient de très forts enjeux. 

En effet, depuis 2015, la Pologne était gouvernée par le Parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość ou PiS en polonais), un parti conservateur de droite radicale voire d’extrême droite qui s’était attaqué à de nombreuses reprises à l’Union européenne…

Les élections de 2023 ont amené au pouvoir une coalition centriste pro-européenne menée par Donald Tusk (ancien président du Conseil européen, une instance qui réunit les chefs d’Etat de l’Union européenne) qui suscite de grands espoirs pour une partie du pays mais posent aussi des questions sur le futur du pays.

Une histoire politique récente : des années 2000 au tournant de 2015

L’histoire politique actuelle de la Pologne est assez récente et remonte aux années 2000 : dans une Pologne sortie depuis quelques années de l’emprise de l’URSS (depuis 1989), naissent la plupart des partis polonais actuels. La Plateforme Civique (PO en polonais, le parti de Donald Tusk) naît ainsi en janvier 2001 et le PiS (Parti Droit et Justice) en juin de la même année. Ils voient le jour dans un pays (démocratique depuis 1989) en pleine croissance économique.

En 2004, le pays adhère à l’Union européenne : l’accès au marché commun européen, les fonds investis par l’UE (plus de 150 milliards d’euros net depuis son adhésion !) et le dynamisme du pays font augmenter drastiquement le PIB et le revenu national. Ces résultats font qu’en 2022, 64% des polonais avaient confiance en l’UE : le 5ème score le plus haut de l’Union contre 49% en Allemagne ou 39% en France.

Politiquement, le système polonais est différent du système français, c’est un régime semi-présidentiel : c’est-à-dire que le président détient un certain pouvoir mais que c’est le Parlement qui a le plus d’influence. C’est pour cela que les élections législatives sont les plus importantes en Pologne : la coalition qui gagne ces élections peut ainsi diriger le Parlement et donc choisir le Premier ministre et même le Président tous les 5 ans.

A partir des années 2000, le PiS de Jarosław Kaczyński et le PO de Donald Tusk s’imposent comme les 2 grands partis du pays. Le PiS est ainsi au pouvoir de 2005 à 2007 puis le PO de 2007 à 2015. En 2014, Donald Tusk est nommé président du Conseil européen et quitte le poste de premier ministre polonais, il est remplacé par Ewa Kopacz mais celle-ci ne parvient pas à maintenir le succès de son parti.

En 2015, les résultats des élections législatives sont une catastrophe pour la Plateforme Civique (PO) au gouvernement… Il perd les élections et le Parti Droit et Justice (PiS) obtient la majorité des sièges de députés (le meilleur score depuis l’indépendance polonaise) : c’est le début d’un gouvernement de droite radicale de près d’une décennie.

Le “règne” du PiS

Très vite, une fois arrivé au pouvoir, le PiS se radicalise : en 2015, une loi est votée pour permettre au gouvernement de nommer les dirigeants de la télévision et de la radio publique.

De plus le gouvernement a tout fait pour intimider les médias indépendants du pays en les exposant à des poursuites judiciaires (comme pour la Gazeta Wyborcza qui a reçu près de 50 procès du gouvernement),  en renforçant de manière très forte la possession publique des médias (20 des 24 journaux régionaux appartiennent à l’Etat) et en voulant les asphyxier financièrement (le gouvernement veut ainsi obliger l’actionnaire majoritaire de TVN, la plus grande chaîne TV privée du pays, à vendre ses parts).

Suite à ces politiques, le pays est ainsi passé selon Reporters Sans Frontières de la 18 ème place en début 2015 en termes de liberté de la presse à la 66 ème aujourd’hui.La politique chrétienne et conservatrice du parti, si elle peut plaire à certains électeurs, a aussi inquiété beaucoup d’habitants. Au niveau local, depuis 2019, a ont par exemple été créée une centaine de zones “anti-LGBT” (où ceux-ci peuvent être victimes de discrimination s’ils disent appartenir à cette communauté).

Cela a généré de fortes tensions avec l’Union européenne qui a coupé les  financements des régions ayant adopté de telles mesures : suite à cette confrontation, la plupart des zones “anti-LGBT” ont disparu. Le droit à l’avortement a aussi été limité par le parti au pouvoir… auparavant, il était déjà restrictif et limité à 3 cas : s’il existait un danger pour la vie de la mère, en cas de viol ou d’inceste et en cas de malformation du foetus.

Malgré de fortes manifestations, le gouvernement limite encore ce droit en 2021 en interdisant d’avorter en cas de malformation du foetus (ce qui représentait l’écrasante majorité des cas d’avortement), menant à une quasi-interdiction du droit d’avorter et aboutissant à la mort de plusieurs femmes des suites de leurs grossesses.

Ironiquement, le domaine le plus affaibli depuis 2015 par le Parti Droit et Justice est la justice elle-même. L’institution la plus attaquée a notamment été le Tribunal Constitutionnel : composée de 15 juges, celui-ci est chargé de vérifier la conformité des lois avec la Constitution et a donc le pouvoir d’invalider des lois votées par le Parlement (similaire au Conseil Constitutionnel en France).

Dès son  arrivée au pouvoir, le PiS refuse l’élection de 5 juges par le gouvernement précédent et impose, non sans protestations, la nomination de 5 nouveaux juges loyaux au pouvoir : une décision extrêmement critiquée par l’Union Européenne (le président du Parlement européen de l’époque, Martin Schulz, la décrivait comme « caractéristique d’un coup d’état »).

En 2017, le gouvernement augmente encore son contrôle sur l’institution en obligeants les juges du Tribunal constitutionnel à partir à la retraite à plus de 60 ans pour les femmes et 65 pour les hommes (tout en se gardant la permission de prolonger l’âge de la retraite pour certains juges) : cette loi aboutit à l’expulsion des juges s’opposant au pouvoir.

Aujourd’hui, le PiS a réussi à transformer le Tribunal Constitutionnel en “marionnette” (selon les mots des officiels européens et des juges polonais de l’opposition) : l’intégralité des 15 juges appartiennent maintenant au parti. Dans les tribunaux plus classiques, la répression sur les juges considérés comme dissidents s’abat également suravec beaucoup d’entre eux qui font l’objet de procédures pénales pour leurs décisions juridiques ou même leurs propos et plus de 1800 juges et assesseurs nommés de manière contestable par le pouvoir.

Selon le World Justice Project, la Pologne est passée de 21 ème en 2015 à 36 ème dans le classement mondial pour l’efficacité de la justice. En réaction, l’UE a sanctionné Varsovie à de nombreuses reprises : la dernière grande sanction en date étant notamment le blocage de 34,5 milliards d’euros de fonds du plan de relance européen qui devait lui être alloué.

Des élections avec de fortes tensions

Le PiS n’a pas que des détracteurs : durant son mandat, le pays a tout de même bénéficié d’une forte croissance et les baisses d’impôts, la politique sociale (hausse des allocations familiales, baisse de l’âge de la retraite,…) ainsi que le conservatisme ont été appréciés par une partie de l’électorat, surtout dans les campagnes et à l’est.

Cependant, la politique conservatrice a aussi beaucoup déplu, surtout dans les villes et à l’ouest du pays tout comme l’affaiblissement de la justice et de la liberté de presse : si la Pologne n’est pas une dictature, elle est néanmoins une démocratie imparfaite qui s’est dégradée au fil des années (elle se classe maintenant 46 ème au classement des démocraties mondiales, soit à la même place que l’Inde).

L’élection était donc très stratégique et s’est faite dans un contexte de fortes tensions : Tusk s’est ainsi fait qualifier de “traître à la nation”, “lâche”, “allié de Poutine” ou “incarnation du mal” par des leaders du PiS notamment Jarosław Kaczyński (à noter que contrairement à la Hongrie, il n’y a pas vraiment un homme fort au gouvernement comme Viktor Orbán mais plutôt plusieurs. 3 hommes forts appartenant au PiS : Andrzej Duda, président de la République ; Mateusz Morawiecki, premier ministre et surtout Jarosław Kaczyński, chef du parti critiqué par beaucoup pour gouverner dans l’ombre car il n’a aucune fonction officielle mais décide de nombreuses politiques).

En plus de cela, peu avant les élections, ont été révélés des scandales de trafic de visas par les hauts dirigeants du PiS et certains dirigeants du parti souhaitaient interdire à Tusk de se présenter (appelée loi sur l’influence russe, elle aurait pour but de créer un comité de 9 personnes, évidemment liées au PiS, qui pourrait décider de bloquer la candidature de candidats aux élections qui auraient eu des liens avec la Russie… une loi qui ouvre la porte à toutes les dérives).

Cependant, Tusk est loin de faire l’unanimité dans son pays : d’inspiration libérale, de nombreux citoyens lui reprochent d’avoir fait passer l’âge légal de la retraite de 65 à 67 ans pour les hommes et de 60 à 67 ans pour les femmes lorsqu’il était au pouvoir (revenu à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes, il a promis de ne pas décaler l’âge de la retraite).

Après une campagne d’intenses mobilisations (peu avant l’élection, plus d’un million d’opposants au PiS ont manifesté à Varsovie et le taux de participation a été de près de 75%, du jamais vu dans l’histoire polonaise !), les résultats tombent : le PiS arrive en tête obtenant 42% des sièges à la Sejm (l’équivalent de notre Assemblée nationale) mais, et c’est là l’important, sans avoir la majorité (même en s’alliant à l’extrême droite qui n’a que 4% des députés).

En revanche, la coalition anti-PiS de Tusk a près de 54% des sièges (34% pour le PO de Tusk, 14% pour le parti de centre-droit Troisième voie et 5,5% pour le parti de gauche Lewica) : c’est donc elle qui devrait former un gouvernement et diriger le pays.

Et après ?

Le programme de la coalition de Tusk peut se résumer simplement : faire tout le contraire du PiS à quelques exceptions près. La coalition souhaite légaliser l’avortement jusqu’à 12 semaines, améliorer la liberté de presse, l’indépendance de la justice et les droits LGBT et surtout recréer de bonnes relations avec Bruxelles (Tusk ayant été à la tête du Conseil Européen, il est profondément europhile).

Cependant, certains points devraient rester similaires au PiS : la politique migratoire sera plus tolérante mais restera tout de même assez fermée aux migrants, le soutien à l’Ukraine et l’opposition à la Russie vont rester très forts et même (probablement) s’intensifier et la coalition continuera le programme social généreux du gouvernement précédent en augmentant notamment les aides sociales.

L’alliance anti-PiS devra cependant attendre pour gouverner : il y aura tout d’abord un processus de transition de 2 mois, ensuite, il est encore possible d’attendre 1 mois avant de convoquer le nouveau Parlement (ce que le PiS va très probablement faire pour retarder l’accession au pouvoir de la coalition, comme l’a d’ailleurs sous-entendu son leader Kaczyński).

D’ici la fin d’année 2023-début 2024, la coalition pourra ainsi gouverner mais cela ne signifie pas la fin des difficultés. En plus de la difficulté à maintenir une coalition très diverse (qui va du centre-droit à la gauche), le président (qui a le pouvoir de mettre son veto sur les lois) et l’intégralité des membres du Tribunal Constitutionnel (qui peuvent également bloquer des lois) sont tous membres du PiS.

Le nouveau gouvernement polonais devra donc attendre 2025 pour une nouvelle élection présidentielle et début 2027 pour pouvoir remplacer la majorité des membres du Tribunal Constitutionnel selon la procédure normale… Malgré un tournant gigantesque lors de ces élections législatives, l’influence du PiS dans le 5 ème pays le plus peuplé de l’UE n’a pas disparu.

A.M.

Sources :

Réaction de Tusk aux résultats des élections polonaises :

https://fr.euronews.com/2023/10/15/donald-tusk-la-pologne-a-gagne-la-democratie-a-gagne-nous-les-avons-chasses-du-pouvoir

Fonds européens alloués à la Pologne (EN) : https://www.statista.com/statistics/1135294/poland-s-contributions-to-and-receipts-from-the-eu-budget/#:~:text=Poland’s%20contributions%20to%20and%20receipts%20from%20the%20EU%20budget%202004%2D2022&text=Since%202004%2C%20Poland%20has%20received,to%20over%2077%20billion%20euros.

Sondage sur la confiance dans l’UE : https://fr.statista.com/statistiques/1337174/confiance-union-europeenne-par-pays-membre/*

Système politique polonais (EN) :

https://en.wikipedia.org/wiki/Politics_of_Poland

Liste des chefs du gouvernement polonais :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_chefs_du_gouvernement_polonais

Parti PiS : https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_et_justice

Parti PO : https://fr.wikipedia.org/wiki/Plate-forme_civique

Violations de la liberté de la presse par la Pologne : https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3400

Place de la Pologne dans le classement RSF (EN) :

https://notesfrompoland.com/2020/04/21/poland-falls-to-lowest-ever-position-in-world-press-freedom-index/

Création de zones LGBT :

https://www.la-croix.com/Monde/Pologne-sont-zones-anti-LGBT-2021-03-12-1201145238

Confrontation avec l’UE sur les droits des personnes LGBT :

https://www.tf1info.fr/international/zones-anti-lgbt-la-pologne-recule-sous-la-pression-de-l-union-europeenne-2197439.html

Droit à l’avortement en Pologne : https://www.amnesty.fr/droits-sexuels/actualites/droit-a-lavortement-en-pologne-ou-en-est-on-aujourdhui#:~:text=Aujourd’hui%20en%20Pologne%2C%20l,avortement%20l%C3%A9gal%20de%20l’obtenir.

Tribunal constitutionnel polonais (EN) :

https://en.wikipedia.org/wiki/Constitutional_Tribunal_(Poland)

Qualification du tribuhnal polonais comme une institution marionette :

https://notesfrompoland.com/2020/05/14/germanys-constitutional-court-president-calls-polish-counterpart-a-puppet-prompting-angry-response/

Réforme de la justice en Pologne :

Crise de 2015 sur la nomination des juges par le PiS :

https://en.wikipedia.org/wiki/Polish_Constitutional_Tribunal_crisis_(2015_%E2%80%93_ongoing)

Réforme de la retraite des juges par le PiS :

https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Pologne-reforme-retraite-juges-viole-droit-europeen-2019-11-05-1201058659

Politique sociale du PiS :

https://www.google.com/amp/s/www.liberation.fr/planete/2019/10/10/en-pologne-le-social-paie-pour-le-pis_1756807/%3foutputType=amp

Portrait de Donald Tusk et de son programme :

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/elections-legislatives-en-pologne-donald-tusk-le-liberal-tourne-vers-l-europe-qui-veut-mettre-fin-a-huit-ans-de-regne-ultraconservateur_6077910.html

Violence verbale lors des élections polonaises (EN) :

https://www.ft.com/content/685608a1-7503-48c2-88b7-ddbadc5bea25

Difficultés du PO après son accession au pouvoir (ES) :

https://www.google.com/amp/s/es.ara.cat/internacional/europa/cambio-historico-gobierno-polonia-europeista-tusk-desbanca-ultraconservador-pis_1_4830227.amp.html

Programmes des différents partis :

https://www.taurillon.org/l-opposition-fait-tomber-les-conservateurs-en-pologne