Mardi 2 mars 2021, au cours d’une conférence à laquelle Le Pap’ a pu assister, Laurent Védrine, directeur du musée d’Aquitaine, a présenté le projet scientifique et culturel 2020 — 2025. Explications et décryptage.

Musée fermé ne veut pas dire musée inactif. En attendant la réouverture — que tout le monde espère prochaine, la direction du musée d’Aquitaine s’est pliée, comme chaque musée de France, à la rédaction de son projet Scientifique et Culturel, qui donne une orientation sur cinq ans de l’action du musée. Ce projet, entré en vigueur depuis quelques mois, est « le fruit d’un travail collectif de deux ans » indique Laurent Védrine. Il a été validé par le ministère de la Culture et la mairie de Bordeaux.

Le musée d’Aquitaine, riche d’Histoire

Attardons-nous quelques instants sur l’Histoire du musée lui-même. Ouvert depuis 1987, cet espace de culture de 30 000 m² répartis sur 6 niveaux prend place, cours Pasteur, au sein de l’ancien palais des facultés de sciences et lettres, construit en 1886; « un fleuron d’architecture universitaire » souligne le directeur, avant de préciser qu’il est « d’architecture néoclassique ». Ce palais se place lui-même sur l’emplacement du lycée de Bordeaux, construit sur un ensemble de couvents, dont celui des Feuillants, abritant le tombeau présumé de Michel de Montaigne. Ces couvents sont construits sur des fortifications médiévales, elles-mêmes construites sur un site antique, à proximité d’un ancien temple dédié à la divinité Mithra. Durant la Seconde guerre mondiale, le musée a également abrité un Blockhaus allemand. « En descendant au sous-sol, on découvre l’Histoire du musée, qui reflète l’Histoire d’un quartier » explique le directeur. L’université, ensuite installée dans les années 1960 dans un nouveau campus à Pessac, laissera place au musée d’Aquitaine en 1987. En 1998, le musée Goupil est rattaché au musée d’Aquitaine. Adolphe Goupil (1806 — 1893) était un marchand d’art qui a reproduit des œuvres d’art et avait à son compte 32 points de vente à travers le monde. En 2006, le Centre National Jean Moulin avec ses 10 000 objets, œuvres et documents de la Seconde guerre mondiale devient partie intégrante du musée d’Aquitaine. Il est fermé depuis trois ans pour cause de travaux.

La collection du musée est quant à elle hors pair. Avec pas moins d’un million de pièces recouvrant 400 000 ans d’Histoire, il est doté d’une des plus grandes collections de France, constituée depuis plus de 400 ans. Des acquisitions récentes ont été faites grâce à l’association des « Amis du Musée d’Aquitaine » et à d’autres anciens musées de Bordeaux. Ce dernier compte à présent « mettre en résonance les collections ».

Une des richesses du musée pourrait se trouver dans son « évocation de deux crimes contre l’humanité » : l’esclavage dans le port colonial de Bordeaux, qui occupe un espace de 700 m² ouvert en 2009, ainsi que le génocide des juifs, à travers les collections du Centre Jean Moulin. « Plus d’1,5 million de personnes ont découvert des témoins matériels de cette Histoire où Bordeaux et l’Aquitaine ont joué un rôle très actif dans le système esclavagiste Atlantique » explique le directeur, avant de préciser que « de nombreuses actions sont effectuées pour faire connaître ces parties de l’Histoire ».

Sur ce thème, le musée détient également de nombreuses collections extra-occidentales qui seront étudiées pour pouvoir comprendre ce qu’elles ont à raconter, dans une perspective décoloniale.

Un nouveau parcours dans l’exposition « 400 000 ans d’Histoire »

Un nouveau parcours prendra part à l’exposition permanente du musée qui part de la préhistoire pour arriver à notre époque. Le fil conducteur du nouveau parcours sera « les questions des échanges avec l’Atlantique, la relation entre l’Homme et la nature ». Il s’appuiera sur une documentation précise des pièces présentées, dans le but d’« incarner les collections, des témoins de notre Histoire dans les différents coins du monde ». Cette documentation répondra à trois questions : Quels étaient les usages de ses objets ? Comment sont-ils arrivés dans la collection ? Que peuvent-ils nous dire ? « Nous nous appuyons sur la connaissance scientifique et la connaissance des œuvres », explique Laurent Védrine. La bibliothèque à deux niveaux du musée, ancienne bibliothèque centrale de la faculté à quatre niveaux, constitue en cela une documentation précieuse.

Ce nouveau parcours mettra également l’accent « sur les évolutions climatiques et l’adaptation, comme à la Préhistoire », ou encore « l’utilisation des ressources au néolithique ». En ce qui concerne l’Antiquité, 300 blocs de pierre de Burdigala — Bordeaux antique — sont étudiés pour essayer de reconstruire des éléments afin de « proposer une relecture du paysage de Burdigala. Il ne reste aujourd’hui que quelques ruines du Palais Gallien [un amphithéâtre gallo-romain, rue Fondaudège, NDLR], et le temple des Piliers de Tutelle a quant à lui été démoli ».

Des découvertes exceptionnelles

En 2019, une pirogue mérovingienne a été découverte à Villenave d’Ornon par l’INRAP, l’Institut national de recherches archéologiques préventives. Cette pièce rare permettra de parler « de la technique de confection navale, des trajets fluviaux maritimes ». Le projet à long terme est de conserver cette épave, qui en dit long sur l’histoire longue et ancienne de la navigation sur la Garonne.

Enfin, une fouille archéologique préventive s’effectue depuis septembre 2020 sur « le tombeau présumé de Michel de Montaigne, philosophe humaniste et pragmatique ». Inhumé en 1886, sa tombe, qui était placée au centre du Hall de la faculté, reste un mystère. Elle constitue le centre de gravité du projet de « musée-monde ». Petite anecdote : le tombeau a été partiellement coupé par un Blockhaus allemand. Un sarcophage a été trouvé avec une dépouille, qui fait l’objet d’une étude pluridisciplinaire avec une quinzaine de spécialistes, dans le but de vérifier qu’il s’agisse bien du corps de Michel de Montaigne.

En ce qui concerne les expositions temporaires, après celles sur le voyage de Jack London dans les mers du sud (2018), sur la culture surf (2019 — 2020) et sur l’enfance au XIXème siècle à travers la collection Goupil (2020 — 2021), le musée prépare une exposition nommée « Hugo Pratt, lignes d’horizons » qui démarrera « dès que les conditions sanitaires le permettront ». Il s’agit d’une adaptation de la collection du musée des Confluences à Lyon. Cette exposition invitera au voyage à travers différents continents de la planète avec en perspective les planches du célèbre auteur de bandes dessinées et des collections ethnographiques provenant des réserves du musée d’Aquitaine et de musées partenaires, tels que le musée quai Branly à Paris.

De nouveaux partenariats

Au-delà de nouvelles expositions, le musée compte continuer de travailler, à l’échelle locale, avec la mairie de Bordeaux, l’association des « Amis du musée d’Aquitaine », les laboratoires de recherche de l’Université de Bordeaux, des instituts culturels, tels que le Goethe Institut. « Nous voulons repositionner le musée d’Aquitaine comme musée de l’Histoire de Bordeaux ». Trois sites historiques gérés par l’office de tourisme de Bordeaux seront revalorisés : le Palais Gallien, le cimetière romain de Saint-Seurin, et la porte Cailhau.

Le musée entrera également en travaux pour une période d’environ 10 ans. Il s’agira de rouvrir au public la bibliothèque qui aura retrouvé la moitié de sa superficie, de créer un nouveau café et un nouvel auditorium, mais aussi de reconquérir les terrasses du musée pour « recréer des points de vues sur la ville », et éventuellement créer des « jardins atlantiques » contenant des pruniers d’Agen, des tomates de Marmande, c’est-à-dire « des plantes qui viennent du monde entier et qui ont été adaptées à l’Aquitaine », tout cela dans le but d’améliorer la convivialité du musée.

Vers un musée pour tous ?

Avant la crise sanitaire, le musée accueillait 150 000 à 200 000 visiteurs par an. « Un musée sans visiteurs n’a pas de sens » regrette Laurent Védrine, qui espère la réouverture du musée prochaine. Il a comme perspective de faire du musée d’Aquitaine « un lieu où on raconte des Histoires, où on a envie de venir et de revenir ». Il compte pour cela diversifier l’offre pour différents publics. « On doit être un musée pour tous » affirme-t-il. Des conférences pointues tout comme des événements ludiques auront lieu. « Un musée doit aussi être un lieu où l’on doit s’amuser ».

Une attention particulière sera portée aux plus vulnérables « Il faut « désintimider » le rapport à la culture, qu’il soit à cause de problèmes sociaux, économiques ou géographiques. », explique Laurent Védrine, avant de souligner que « la culture est un formidable vecteur d’insertion ».

Pour les non-voyants, le musée travaille sur des parcours sensoriels et tactiles. 29 postes seront installés sur l’ensemble du musée et contiendront des maquettes tactiles, dans une démarche d’accessibilité.

« Tout cela est possible grâce à une équipe aux multiples compétences au service du public et de ses missions. Nous avons pour mission de transmettre le patrimoine qu’on nous a confié depuis 400 ans » résume le directeur du musée.

Lorsque Le Pap’ lui a posé la question des rapports qu’entretiennent les lycéens avec la culture, il nous a répondu que « ce public n’est en général pas assez visible dans les musées ». Il voudrait accueillir plus de lycéens, mais pas à travers des programmes éducatifs. « Nous voulons qu’ils viennent de leur propre chef. L’exposition sur le surf nous a amené de nouveaux publics. Un des vrais sujets est comment toucher le plus jeune public, et de quelle manière ». Sollicité pour éclaircir cette question, le musée n’a pas donné suite à nos demandes.

En citant Georges Henri Rivière, le « pape des musées » en guise de conclusion, Laurent Védrine donne rendez-vous à la réouverture du musée, pour découvrir le musée de demain, et ses richesses.

Le musée d’Aquitaine est gratuit pour les moins de 18 ans ainsi que pour tous le premier dimanche de chaque mois. La bibliothèque est, quant à elle, accessible gratuitement pour tous, sur rendez-vous. Hors restrictions sanitaires.

R.T.

Source image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mus%C3%A9e_Aquitaine.JPG