CHAPITRE 1

5 juin 1942, Iles Midway

Alors que Feinwasser espérait pouvoir dormir quelques heures de plus, une sirène le réveilla en sursaut. Affolé, il se redressa aussitôt et regarda autour de lui. La puissante lumière rouge s’évanouit aussi vite que le bruit, si bien que personne n’aurait pu dire si l’alerte avait réellement été donnée. Grommelant contre un certain « Lusti », le jeune officier allemand se leva tant bien que mal de sa couchette. Il appuya d’un coup brusque sur l’interrupteur et la lumière inonda aussitôt la petite pièce où il se trouvait. Celle-ci était des plus rudimentaires et contenait simplement cinq couchettes, toutes identiques, et une armoire. Feinwasser se frotta les yeux, s’étira et commença à se préparer. Dix minutes plus tard, il quittait la salle et s’avança dans un couloir exigu aux parois métalliques. Il ne lui fallut pas longtemps pour arriver au poste de contrôle, le sous-marin dans lequel il se trouvait étant sensiblement plus petit que les modèles classiques. En ouvrant le sas en acier séparant le couloir du centre de contrôle, Feinwasser ne put s’empêcher de penser qu’il aurait vraiment préféré rester sur le U10 et refuser cette offre. Il soupira en y songeant et rentra dans le poste de pilotage du Teilen. Son équipe au complet l’attendait déjà, tous assis à leur poste respectif. Tout comme la salle de repos, cette pièce était minuscule, aussi Feinwasser eut du mal à s’asseoir à sa place, au poste central. Personne n’émit de contestations. En effet, bien qu’ils n’aient pas vraiment choisi un chef, il allaitsans dire que Feinwasser était le plus expérimenté et le plus compétent en ce qui concerne les sous-marins. A sa droite, un homme aux cheveux blonds en bataille lui demanda : 

« Alors Fein, bien dormi ? , un sourire moqueur aux lèvres.

– Pas vraiment, non, j’ai été réveillé par une sirène d’alarme alors qu’il n’y a aucune attaque. Tu ne saurais pas pourquoi Lusti, répondit calmement Feinwasser.

– Aucune idée, peut-être un défaut de fonctionnement, proposa Lusti, le visage impassible.

Fein, comme se plaisait à l’appeler Lusti, se retint de rire en voyant le sourire en coin de Lusti s’élargir de plus en plus.

– Bon, ça n’a pas d’importance, on est à quelle distance des îles ?

-Cinq kilomètres, comme prévu, lui répondit une voix grave et mesurée venant de derrière lui. En se retournant, Fein vit Jin plongé dans ses calculs sur son ordinateur. 

– Tu calcules toujours notre route, lui demanda Fein.

– Il faut bien que quelqu’un s’en occupe, répliqua Jin, tu ne peux pas t’occuper de tout et les trois autres sont des bras cassés en calcul. Le rôle me retombe donc dessus… Il soupira en prononçant cette dernière phrase mais Fein le savait bien trop excité par les calculs et les mathématiques pour le prendre au sérieux.

– Eh, une seconde, t’entends quoi par bras cassé, intervint Vito d’un ton blessé, je suis aussi bon que toi en calcul.

– Oh, parfait, répondit Jin, tu ne verras donc pas d’inconvénients à ce que je te laisse calculer notre prochaine route.

– Pas de…

– Néanmoins, coupa Jin , sache que si tu nous fais exploser en irradiant au passage une bonne partie de l’océan Pacifique, je te promets que je te retrouverai en enfer et que je te retuerai rien que pour ça.

Tout le monde éclata de rire à la plaisanterie, y compris Hiro, d’habitude si réservé. 

La plaisanterie n’était pas vraiment drôle mais avait pour but de décompresser l’atmosphère avant la bataille. 

– D’ailleurs, reprit Vito, j’ai appris qu’il  allait y avoir plus de 100000 navires pour nous escorter.

– Tu ne serais pas un peu imbu de toi même, par hasard, ricana Hiro, je ne sais pas si tu l’as oublié mais la plupart des gens ignorent tout de notre existence, alors je ne vois pas comment ils pourraient nous escorter. »

C’était vrai. La plupart, si ce n’est la totalité, des soldats ignoraient tout du Teilen et de son équipage. Il s’agissait, en effet, d’un nouveau type de sous-marin conçu pour causer des dégâts d’un tout nouveau type grâce au nucléaire. Il était conçu pour être le plus petit possible et causer d’immenses dégâts grâce aux armements nucléaires développés en secret, installés sous la salle de contrôle. Du moins, c’était ce qu’on prétendait. Pour beaucoup, il ne fallait pas croire aux miracles des savants nazis et japonais : le nucléaire est bien trop puissant pour être utilisé aussi facilement et aussi rapidement. Il aura fallu deux mois pour convaincre les chefs d’état-major de tester à but expérimental ce sous-marin. On a, pour cela, réuni l’équipe des pilotes et des copilotes les plus talentueux de l’Axe. Cette équipe se composait de seulement cinq personnes, deux allemands, deux japonais et un italien. Les deux allemands, Feinwasser et Lusti, provenaient du même sous-marin allemand, le U10, et avaient déjà travaillé ensemble. Jin et Hiro se sont également très bien entendus dès le premier instant et ont rapidement pris Vito dans leur groupe. Bien que la tension était palpable entre les deux groupes au début des essais, les cinq hommes se rendirent vite compte que plusieurs semaines sous l’eau avec des tensions ne pouvaient pas être réalisables. Ils se sont donc rapidement rassemblés et ont partagé ensemble de bons moments. Lusti ne correspondait pas du tout aux critères qu’on peut attendre d’un allemand haut gradé. Il refusait en tout point de porter un quelconque uniforme, de se peigner les cheveux correctement. Il était plein de vie, le plus jeune de l’équipe avec ses 23 ans. C’était principalement lui qui alimentait la bonne humeur au sein du groupe à l’aide de ses blagues, plus ou moins réussies… Fein était tout son contraire. Sérieux en toutes circonstances, extrêmement appliqué dans tout ce qu’il faisait, beaucoup le considérait comme un prodige et ce n’était pas pour rien qu’à peine à l’âge de 25 ans, on lui proposait un rôle de vice-commandant sur le U10. 

Jin et Hiro étaient tous les deux japonais et étaient extrêmement doués dans leur domaine de prédilection. Tiré d’une des universités les plus prestigieuses du Japon, Jin excellait et se passionnait pour les mathématiques. Il était incontestablement le meilleur dans ce domaine. Il savait malgré tout rire avec les autres et était le premier à essayer de faire des jeux avec les autres durant les longues semaines qu’ils passaient ensemble. Il avait 25 ans également et en faisait 21. Hiro, lui, était le meilleur sur l’armement et le seul qui s’y connaissait sur le nucléaire. Il a d’ailleurs fait partie du projet visant à rendre l’arme nucléaire possible. Néanmoins, il paraissait toujours refermé sur lui-même et il était extrêmement compliqué de le faire parler. On raconte qu’il est comme ça depuis qu’il est allé en Allemagne pour rencontrer des savants nazis. Il est malgré tout excellent cuisinier et ne manque pas de se plaindre tous les jours des rations alimentaires minables qu’on leur sert. Enfin, Vito, le seul italien du groupe, est davantage là car les Italiens ne voulaient surtout pas rester à côté d’un des plus grands projets de leur siècle. Néanmoins, il serait trop facile de renier son talent comme ça puisqu’il est l’un des meilleurs pilotes italiens et même européens de sous-marin. 

Tous ensemble, ils formaient l’équipage ultime du Teilen et réalisaient des expériences très intéressantes  sous les flots. Mais tout a changé depuis décembre 1941. Tout a changé depuis Pearl Harbor. Depuis que les Américains sont rentrés dans la guerre. Depuis cet événement, on forme le Teilen pour des missions de combats réels et celle aux îles Midway serait leur première dans ce sous-marin. 

– Bon, et si on discutait un peu pour passer le temps, proposa Jin

– Super idée,approuva Lusti, j’ai trouvé quelques charades dont vous allez me dire des nouvelles ! Mon premier est…

– Non merci, ça ira, le coupa Feinwasser, on n’en a pas besoin dès le matin.

– Voilà ce que je propose, lança Vito, on doit tous proposer chacun notre tour une vérité gênante sur nous. Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Encore une fois, je crois qu’on peut se passer de jeux d’enfants…

– Moi, ça me va, dit Hiro

– Je suis pour également, approuva Lusti

Jin et Fein se regardèrent un court instant puis hochèrent la tête simultanément.

-OK, parfait, alors d’abord une règle de base, proposa Vito, ce qui est dit dans ce sous-marin reste dans ce sous-marin.

-A condition qu’on en sorte, murmura Hiro si faiblement que Fein crut qu’il avait rêvé.

 Avant qu’il n’ait pu interroger Hiro sur ses paroles, Jin se lança. Ce fut ensuite au tour de Lutsi, Vito, Fein et Hiro. La première gêne passée, tous les cinq continuèrent ce jeu pendant les longues heures qui suivirent. Ce fut au bout de la septième vérité de Vito qu’un froid fut jeté. 

– Je trouve cette guerre idiote et ridicule, lança-il d’un ton de défi. Personne ne s’attendait à cela et les quatre autres écarquillèrent les yeux au même moment. Vito vit leurs têtes et ne put s’empêcher de rire.

– Si vous vous étiez vus, hurla-il de rire, vos têtes étaient légendaires.

Mais personne ne lui rendit son rire. Seul le silence et des mines graves lui faisaient face. En voyant la gravité de la situation, Vito se prépara à leur expliquer calmement son point de vue. Ce fut alors qu’une véritable alarme retentit dans le sous-marin.  Aussitôt sorti de sa torpeur, Fein fut le premier sur les commandes. 

– On nous demande, annonça-t-il d’un ton fier, de nous rendre sur le champ de bataille !

Les quatre autres hurlèrent de joie, de peur, d’excitation, d’appréhension et de beaucoup d’autres choses. Tous étaient déjà prêts, face à leur console de pilotage, avant même que Fein n’enclenche les moteurs. Quand ils furent prêts, le sous-marin fila telle une ombre dans l’océan, en direction de la bataille la plus décisive de l’Histoire…

A suivre…

GP