Iles Midway, 5 juin 1942

Feinwasser fut réveillé en sursaut par le bruit familier d’une sirène. Il se leva d’un bond et regarda autour de lui. La salle, sa couchette, tout semblait ressembler au détail près à la salle qu’il avait vu quelques heures avant… Écarquillant les yeux sous le choc, il commença à tourner  dans la salle. Ses mains et son visage étaient couverts de sueur et il haletait à intervalles réguliers, tout en essayant de mettre de l’ordre dans ses idées. La scène n’avait aucun mal à se visualiser dans sa tête : la trahison, l’explosion, et surtout… Sa mort ! Cela semblait trop réel pour être un rêve ou une hallucination causée par une fièvre. Le jeune officier essaya de se calmer et de se détendre. Une chose était certaine : il n’apprendrait rien de plus et n’aurait certainement pas de révélation fulgurante dans cette pièce. Peu importe ce qu’il allait trouver de l’autre côté, il allait ouvrir la porte et voir ce que le destin lui donnerait. Il se prépara comme à son habitude, essuyant sa figure et ses mains, puis ouvrit la porte. Encore une fois, le couloir typique du Teilen semblait identique : métallique, froid et exigu. Machinalement, presque par instinct, il se dirigea vers la salle de contrôle. La porte s’ouvrit et les mêmes visages qu’à l’accoutumée se présentèrent à Fein : Lutsi et son regard malicieux, Jin avec son air froid, Hiro, inexpressif et Vito… Dissimulant sa surprise du mieux qu’il le pouvait, il s’avança et s’assit à sa place habituelle. Il remarqua alors que Lutsi le regardait fixement. Il semblait presque attendre quelque chose. Fein fronça les sourcils, Lutsi lui sourit en retour en lui faisant un signe de main. Aussitôt, Fein se détendit. Il venait, en effet, de comprendre ce que son ami attendait.

« – Hey, d’ailleurs Lutsi, tu n’aurais pas vu un dysfonctionnement de la sirène d’alarme, demanda Fein du ton le plus neutre possible.

– Absolument pas, aucune panne n’a touché l’alarme. Pourquoi, répondit innocemment Lutsi, un grand sourire aux lèvres.

Il finit par éclater de rire, sous le regard menaçant de Fein.

– À  la rigueur, une intervention manuelle serait beaucoup plus logique… affirma-t-il du ton qu’il avait dès que quelqu’un comprenait ce qui lui était arrivé.

Mais cette fois, Fein n’avait pas le cœur à rire. Il avait péri dans l’explosion, il en était certain. Néanmoins, tout ce qui l’entourait était trop réel pour ne pas être pris au sérieux: le contact agréable et rugueux du siège de cuir sur lequel il était assis, les minuscules rayures sur son écran, les livres ouverts à la même page que la dernière fois. Aucun rêve ne peut ressembler d’une telle manière à la réalité. A part, à cause d’une intervention divine ou d’une force supérieure. Mais Fein ne croyait pas à ces choses là. Il savait que Jin non plus, selon lui, tout a une explication logique. Si quelque chose est incompréhensible, c’est simplement que cette explication n’avait pas encore été découverte. A l’inverse, il savait que Vito croyait en Dieu, mais également que Hiro croyait au destin. Si quelque chose arrivait, c’est parce que Dieu en avait voulu ainsi, ou parce que ces évènements avaient été prédits des centaines d’années auparavant. Quant à Lutsi, il ne semblait avoir aucun avis sur la question. Il s’amusait et ne manquait pas de faire des blagues sur les deux « camps » chaque fois qu’il le pouvait. 

Fein se reconcentra et s’aperçut d’une nouvelle chose. S’il s’agit bien de la même scène, elle pouvait être modifiée : le comportement de Jin à sa réaction en était la preuve. Mais, malgré tout, les seuls indices qu’il possédait pour comprendre ce qui lui arrivait étaient très minces, et ceux permettant d’arranger ou de modifier la situation, inexistants.

Au fil des heures suivantes, les évènements se déroulèrent exactement de la même manière : les mêmes blagues, les mêmes comportements, les mêmes conversations eurent lieu, à la minute près.  Alors qu’il semblait s’endormir, épuisé par ces réflexions, Fein se releva soudain en entendant Vito parler :

« -Je trouve cette guerre idiote et ridicule… »

Cette phrase fut prononcée du même ton de défi que la première fois. Tandis que les trois autres écarquillèrent les yeux, Fein se concentra. Ils avaient été trahis, il le savait. Le Teilen, pourtant indétectable, avait subi des assauts beaucoup trop précis pour penser à une simple coïncidence. L’un des quatre les avait trahis. Se pourrait-il qu’il s’agisse de Vito ? Toujours légèrement isolé malgré lui, de par son origine et ses capacités, il semblait probable que ce soit Vito. Sachant ce qu’il allait se passer ensuite, Fein se retourna avant même que Vito ait le temps de s’expliquer, ou l’alarme de retentir. Dès qu’elle fut lancée, Fein la coupa instantanément et se retourna, après avoir laissé quelques secondes s’écouler. Il annonça, d’une voix fière, que le Teilen était invité au front. Il se concentra sur la réaction de Vito. Son visage ne laissait paraître aucune trace de joie ou d’amertume. On aurait juré voir Hiro, tant il était inexpressif à l’annonce d’une si grande nouvelle. Fein était désormais presque sûr de lui. Reprenant ses habitudes, il s’installa et commença à diriger le Teilen sous les flots. S’ il savait désormais qui les avait trahis, il restait l’heure et le temps de l’évènement. Du coin de l’œil, il observa Vito constamment durant le trajet. Aucun mouvement ne semblait suspect, au contraire. Vito se comportait exactement de la même manière que la première fois. Alors que le Teilen arrivait au point de rendez-vous, Vito n’avait toujours rien commis de suspect. Mais Fein avait une idée. Si c’était possible, alors il comptait bien changer le passé et le futur, par extension, une bonne fois pour toutes. Alors qu’Hiro et Lutsi se levèrent pour aller préparer les missiles guidés, Fein se leva brusquement et demanda :

« Ça vous dérange si j’y vais aussi. Je voudrais voir comment ça se passe.

-On ne pourra pas rentrer à trois dans la salle, on ne ferait que se gêner, répondit brusquement Hiro.

Pile la réponse à laquelle s’était préparé Fein.

-Alors, on n’a qu’à changer pour une fois. Si j’y allais avec Vito par exemple.

L’intéressé releva soudainement les yeux et fixa ceux de Fein avec une intensité presque terrifiante. Fein lui rendit son regard, froid et impitoyable. Alors, et pour la première fois, Vito sembla éprouver de la peur. Sa main trembla légèrement et ses yeux se baissèrent pendant une fraction de seconde.

-Bah, c’est pas très compliqué d’y aller, alors pourquoi pas, lui répondit Lutsi. Hiro finit par  approuver également. Alors que Vito s’apprêtait à dire quelque chose, Fein l’empoigna d’une main amicale et ne lui laissa pas le temps de parler :

-Ok, super, allons-y Vito ! »

Entraîné par une poigne de fer, Vito n’eut pas d’autre choix que d’approuver et de le suivre. Si Vito s’attendait à être surpris, il allait continuer. Fein dépassa d’un pas rapide la salle des machines, et poussa sans ménagement Vito dans la cabine. Il tira d’un geste ample et élégant un petit couteau de sa poche, qu’il avait pris quand il avait quitté la chambre. Alors que Vito s’efforçait de reprendre ses esprits, Fein le colla contre une armoire et lui mit le couteau sous la gorge.D’un ton calme et avec un faux sourire, Fein ne posa qu’une question :

« Hey Vito, dis moi…

Alors qu’il prononçait ces mots, son regard se fit plus dur. Ses yeux semblaient prêts à transpercer Vito avant que le couteau n’ait eu à bouger. 

-… Pourquoi nous as tu trahis, murmura-il discrètement dans l’oreille de ce dernier…

A suivre

G.P.

Image : Sous marin allemand 1945 (wikipédia)