Manaé prend alors des crayons noirs, gris et blancs et du papier cartonné. Naturellement, elle n’oublie pas son crayon porte-bonheur. Elle sent qu’elle va en avoir bien besoin. Elle respire profondément et commence son dessin. Immortaliser le monstre la trouble car elle doit l’observer en détail, sans baisser les yeux.

Elle commence par la tête. Elle en dessine la forme arrondie, le grand front qui occupe quasiment la moitié du visage ainsi que les sourcils presque inexistants. Tandis qu’elle regarde ces derniers minutieusement, elle remarque, au-dessus de l’un d’eux, une tâche ou du moins ce qui semble être la trace d’une ancienne cicatrice.

Elle ne l’avait jamais vue auparavant mais elle ne s’y attarda pas longtemps, plus par dégoût que par désintéressement. Elle se concentre alors sur les yeux, ces yeux terribles aussi minuscules qu’un bouton de mimosas. Elle ne les avait jamais autant observé. Les cils sont fins et peu nombreux ce qui les rend plus laids encore.

Elle dessine, efface ses traits et recommence au moins une dizaine de fois consécutives. Les yeux sont difficiles à représenter mais ceux-là le sont davantage. Une fois que le résultat lui semble correct, elle dessine les poils frisés qui ressortent de derrière les oreilles.

Il y en a aussi qui sortent du haut du front, semblables à des petits cheveux impossibles à coiffer. Ensuite viennent les lèvres. Elles sont si minces, si peu définies qu’il est difficile, là-encore, de les reproduire. Manaé commence à regretter son choix. Un serpent aurait été plus facile!

Après plusieurs essais, elle réussit tout de même à faire quelque chose de convenable, qui n’est pas de grande qualité ni de finesse mais qui fera l’affaire. Elle en a fini avec le visage. Elle pousse un soupir de soulagement. Elle a réussi. Cependant, son travail n’est pas encore terminé.

Pour que tout soit complet, elle doit reproduire le corps. Mais il y a un problème. Le miroir n’est pas assez grand pour voir le monstre dans son entièreté. Comment faire? Elle ne peut pas simplement dessiner la tête, si?

Elle se souvient alors qu’elle a vu un grand miroir psyché dans la petite salle à côté de l’atelier, salle dans laquelle on fait sécher les tableaux et où on nettoie les pinceaux et autres ustensiles. Elle sort alors de la pièce avec son support sur lequel est posée sa feuille de papier et ses crayons.

Elle est décidée à mener son projet à bien. Elle arrive dans la petite salle et regarde le grand miroir. Le monstre est là, la toisant toujours du regard. Elle commence à dessiner le corps de la créature. Le ventre est immense et possède quelques plis qui le rendent encore plus laid. Sa forme disgracieuse n’est pas simple à représenter.

L’embellir reviendrait à modifier la vraie nature du monstre. Il faut qu’elle le dessine tel qu’il est vraiment, avec toutes ses difformités. Après avoir fini le tronc de la Chose, elle se concentre à présent sur les jambes. Elles sont tellement grandes qu’elles dépassent de la feuille cartonnée.

La jeune femme ne pourra pas dessiner les pieds, ce qui la rassure un petit peu. En effet, à chaque personnage dessiné, elle évite au maximum de faire les pieds, sous prétexte de leur complexité. Elle retouche certains détails comme les taches sombres situées sur tout le corps de la créature.

Elle est enfin prête. Elle a réussi à représenter le monstre. Néanmoins il ne part pas. Il continue de la fixer. Il est toujours aussi terrifiant qu’il soit esquissé sur une feuille ou dans la réalité. 

Manaé retourne dans la grande salle. C’est l’heure de la démonstration. 

E.M.