Ceci est le début d’un récit dont la suite sera progressivement publiée dans le journal…

Prologue : Mensonges 

29 septembre 1938, 23h49

Le colonel Friedrich se dirigeait d’un pas rapide vers la salle où la conférence avait eu lieu. Tandis qu’il marchait et commençait à l’apercevoir, il vit Edouard Daladier, Neville Chamberlain et Benito Mussolini marchant en sens inverse, l’air heureux et soulagé. Le colonel leur adressa un rapide salut et continua sa route sans même s’attendre à une réponse. Il devait savoir… Il devait savoir ce qu’Il avait décidé… Alors qu’il se retenait d’accélérer son pas, Daladier l’interpella dans un allemand approximatif :

« -Attendez une seconde, jeune homme…

Persuadé d’être réprimandé pour avoir manqué de respect à l’un des dirigeants de l’Europe, Friedrich se retourna le cœur battant. Ne connaissant pas le français, il décida de répondre en allemand :

– Oui monsieur ?

– Vous êtes bien le colonel qui accompagnait… à la gare ce matin ?

Comme toujours lorsque Son nom était prononcé, des bourdonnements l’empêchaient d’entendre quoique ce soit. Néanmoins, il était facile de deviner de qui le ministre de la Guerre français parlait.

-Oui, en effet, répondit Friedrich, d’un ton méfiant

Daladier n’avait pas l’air de vouloir le réprimander, ce qui rendait encore plus étrange cette discussion.

– Oh, parfait, pourriez-vous, s’il vous plaît, lui dire que la France sera prête à l’accueillir quand il le souhaite, nous pourrons toujours lui offrir l’hospitalité.

– Je n’y manquerais pas, au revoir messieurs, répondit le jeune homme »

La conversation étant visiblement terminée, le colonel se retourna et continua sa route. Après quelques instants, il se retourna pour vérifier que personne ne le suivait. Ne voyant personne, il accéléra, un sourire lui arrachant les lèvres. Lorsqu’il parvint devant la porte, bordée de dorures autour de la poignée, il reprit son souffle un instant, toqua pour annoncer sa présence et ouvrit la porte. Il Le vit. Assis d’un air nonchalant, un verre de vin à la main, Il paraissait profiter du spectacle qu’offrait la pleine lune en ce mois d’automne. Il finit par apercevoir Friedrich, toujours en position de salut et Il parut enchanté.

« – Oh, c’est vous ! Venez donc vous assoir mon cher ! Et célébrons notre victoire !

Il n’y avait plus aucune trace d’un accent français dissimulé tant bien que mal par Daladier. Lui, Il parlait l’allemand le plus pur que le colonel ait jamais entendu. Il y fit à peine attention, trop concentré sur Ses dernières paroles.

– Alors, ils ont accepté ?

– Oui, ils ont tous marché dans le coup… Même Chamberlain, que j’imaginais réticent, s’est montré très soulagé à la vue de nos conditions.

– La paix contre la Tchécoslovaquie, c’est bien cela ?

– C’est bien cela !

– Mais… il va sans dire que nous la déclenchons quand même, n’est-ce pas ?

– Bien évidemment, mon cher, bien évidemment… Oh, bien sûr Mussolini voulait retarder l’échéance mais je ne vois pas ce qui va nous en empêcher. Les autres sont très loin derrière nous en terme d’armement.

Il paraissait très content de lui et, pendant une fraction de seconde, le colonel crut apercevoir une lueur rouge sanguinaire dans Ses yeux. Mais, ils redevinrent bleus pâles si rapidement que Friedrich était sûr que la lumière lui avait joué un tour.

– Et…. qu’en est-il du projet T ?

Pour la première fois depuis le début de la soirée, Il perdit son air suffisant et regarda autour de lui pour être certain que personne ne l’avait entendu.

– Vous êtes fou Friedrich, complètement fou ! Si quelqu’un l’avait entendu…  

Friedrich écouta à peine la suite, trop concentré sur le fait qu’Il ait prononcé son nom.

– Néanmoins, reprit-Il, ce projet ( Il appuya l’appellation d’un regard dur, ne laissant aucun doute possible sur sa pensée) est maintenu. D’ailleurs, les premiers candidats devraient bientôt se manifester…

Il laissa sa phrase en suspens, rêvant sans doute à toutes les possibilités que permettrait ce projet.

– Oui, je viens juste de recevoir un message des chercheurs. Ils pensent que des personnes ayant été dans un milieu restreint pendant plusieurs années seraient plus…

Cette fois-ci, ce fut Lui qui écouta à peine, plongé dans ses pensées de gloire et de conquêtes. 

– Quoiqu’il en soit, nous devons informer les Autres que nous avons réussi, ajouta Friedrich.

Cette pensée Le remit d’aplomb et Il retrouva sa sévérité habituelle.

– Vous pouvez vous en occuper Friedrich, demanda-il

Cette fois-ci, il n’y avait plus aucun doute possible, une lueur rouge était bel et bien apparue dans Ses yeux. Pendant une fraction de seconde, Friedrich demeura figé, mesurant les implications que pouvaient avoir cette lueur. Ca ne dura pas puisqu’il se reprit aussitôt et répondit :

– Bien sûr, ce sera fait ! 

– Parfait, dans ce cas, nous allons en rester là. Partez en avant Friedrich, je vous rejoindrai dans notre wagon. Le numéro 4, c’est bien cela ?

– C’est bien cela !

– Parfait… 

Alors que le colonel se préparait à quitter les lieux, Il l’interpella une dernière fois :

– Attendez une seconde !

Surpris, le colonel se retourna et attendit. Le silence fut sa seule récompense pendant de longues secondes, Ses yeux plongés dans les siens…  Finalement, Il se reprit et demanda :

– Pour vous, qu’est-ce que le pouvoir ?

En voyant, les yeux étonnés et surpris du colonel, Il ajouta aussitôt :

– Enfin, ce n’est rien, oubliez ma question s’il vous plaît. »

Après une longue attente, Friedrich se décida à partir. Il garda malgré tout en tête cette image : Lui, seul à une grande table, que seule la lumière de la Lune éclairait, l’air préoccupé et faisant tourner dans sa main son verre de vin auquel il n’avait pas touché.

Il quitta la salle et repartit en sens inverse, entendit douze coups de cloche et regarda une dernière fois le ciel avant qu’il ne soit à jamais changé. Il regarda une dernière fois la Lune et les étoiles qui vivaient sans doute leur dernière nuit. Il s’apprêta à dire quelque chose mais , s’apercevant du ridicule de son geste, ferma immédiatement la bouche et sortit dans le froid de la nuit en direction de la gare.

Presqu’un an plus tard, la Pologne est écrasée par l’Allemagne.

Ce fut également la dernière fois qu’Il apparut sous sa forme humaine…

A suivre G.P.