Le mercredi 19 mars 2025, les élèves de terminale du Lycée Pape Clément, ont eu la chance d’assister au témoignage de Lili Leignel au Galet. Lili Leignel est une des dernières rescapées de la Shoah. A l’âge de 93 ans, elle nous livre les horreurs de sa jeunesse dans les camps, ayant pour quête de faire de nous « ses petits messagers ».
L’histoire que Lili Leignel nous a courageusement racontée est celle commune à tous les juifs et à tous les déportés, mais aussi le récit de sa propre vie…
Sous l’occupation allemande, Lili Leignel fut toujours cachée par des familles, qui acceptèrent illégalement de l’héberger, elle et ses deux frères Robert et André, au péril de leur vie. Peu avant l’anniversaire de leur mère, leurs parents les firent rentrer chez eux. La petite famille fut arrêtée par la Gestapo, le 27 octobre 1943 à trois heures du matin. Cette date, Lili Leignel s’en souviendra toute sa vie. Elle avait 11 ans, Robert en avait 9 et son petit frère André 3 ans, quand ils quittèrent leur maison à Roubaix près de Lille. Dès leur arrestation, la famille fut séparée. Leur père fut enfermé dans une cellule avec d’autres hommes tandis que la mère et « eux les enfants », se retrouvèrent emprisonnés quelques jours dans une autre cellule. A partir de cette date, ils ne le revirent plus jamais.
Tous les quatre, sans leur père, furent amenés à la prison Saint Gilles, à Bruxelles en Belgique, où le commandement allemand était basé. Ils y restèrent quelques jours. Ils furent ensuite conduits vers le camp de Maline, toujours en Belgique, où ils rencontrèrent avec grande peur des SS allemands et hollandais. C’est là qu’on leur attribua un numéro de matricule, les identifiant comme déportés. Celui de Lili Leignel fut le 25 612. De ce camp, les SS les entassèrent dans des wagons à bestiaux, qui les transportèrent jusqu’au camp de concentration nazi pour femmes de Ravensbrück. Dans le wagon qui les transportait, ils se trouvèrent avec de nombreux déportés, comme eux, arrêtés pour différents motifs. La plupart étaient juifs mais il y avait aussi des tsiganes et des résistants et d’autres encore, toutes classes sociales confondues. Lili Leignel se rappelle encore de Geneviève de Gaulle. Elle dormait sur la couchette juste au-dessus de la leur dans le camp de Ravensbrück.
Dès leur arrivée dans cet endroit où régnait le désespoir, ils subirent la routine irrépressible des camps, rythmée par les méthodes de tortures et d’humiliation SS. Lever à 3h30 par la sirène, Waschraum : c’était un temps de nettoyage très rapide à l’eau froide exécuté sous surveillance des SS. Puis l’Appel, les juifs étaient comptés, les malades étaient emmenés à la mort. La rescapée (évoquait) évoqua ensuite le dur quotidien des personnes âgées qui (que les personnes assez âgées) se pinçaient et se tapaient les joues afin d’avoir un teint plus naturel et de ne pas être emmenées à la mort. De plus, elle évoqua le fait “qu’il fallait se souvenir de son numéro de matricule par cœur”, et en allemand, pour répondre à l’appel. Lili Leignel se souvient encore de son numéro de matricule en allemand plus de 80 ans après : “fünfundzwanzigtausend sechshundertzwölf” (25 612). « Souvent il en manquait à l’appel, alors nous pouvions rester des heures durant, debout, à attendre » nous racontait Lili Leignel.
Les femmes devaient ensuite aller à l’Arbeit (le travail), où diverses tâches ingrates et macabres leur furent exigées comme creuser des fosses pour y mettre les corps des défunts juifs. « Eux les enfants » ne travaillaient pas mais étaient enfermés dans des blocs : des bâtiments rectangulaires en bois où ils risquaient quotidiennement la mort. Elle et ses frères y restèrent 2 ans. « Nous n’étions plus des enfants », nous expliquait Lili Leignel. Les enfants furent aussi mal traités que les adultes, ils pouvaient être tués dans la journée par les SS. Beaucoup furent tués dès la naissance et les nazis allaient jusqu’à pousser le vice en chronométrant le temps qu’ils mettaient à mourir, noyés dans des seaux d’eau froide. « S’ils n’étaient pas assassinés, ils risquaient de mourir de maladies comme la dysenterie ou le typhus ».
Au début de l’année 1945, Lili Leignel et sa famille ainsi que des centaines de déportés furent transférés au camp de Bergen-Belsen, un camp de concentration à l’Ouest de Ravensbrück aussi appelé “camp de la mort lente”. En arrivant à l’intérieur de ce camp, la rescapée sent tout de suite une odeur qu’elle qualifie de “pestilentielle”. Dans ce camp, il y avait une épidémie de typhus qui expliqua les corps présents même à l’intérieur des blocs. Mais l’odeur provenait surtout des corps qui brûlaient à ciel ouvert. Peu de temps après leur arrivée, la mère de Lili Leignel attrapa le “Kopf Typhus”, ce qui démoralisa fortement les enfants.
Par chance, le 15 avril 1945, des soldats britanniques libèrent le camp. De la nourriture est alors distribuée, et les malades les plus mal en point dont la mère de Lili Leignel sont soignés au Revier. Le “grand rapatriement” commence et les trois enfants, séparés de leur mère, quittent ensemble Bergen-Belsen pour rentrer en France. Dans des wagons à bestiaux.
Arrivés à Paris, des camions les amenèrent à l’Hôtel Lutetia où de nombreux déportés y retrouvaient leur famille, ce qui ne fut pas le cas pour les trois enfants qui “n’avaient plus personne”, n’ayant plus de nouvelles de leur père et de leur mère restée à Bergen-Belsen dans un état terrible. Ils furent alors hébergés par un chirurgien dentiste et sa femme pendant quelques temps. Lili Leignel se souvint subitement un jour qu’elle a de la famille en France : un oncle et une tante dans les Deux-Sèvres. Le chirurgien dentiste les contacta alors et la tante vint chercher les enfants pour les ramener. A leur arrivée dans les Deux-Sèvres, les enfants sont accueillis par une foule de personnes dont des journalistes. Étant rentrés seuls sans leurs parents, ils étaient “à l’honneur” comme nous le dit Lili Leignel. Cependant, leur état de santé les empêcha de rester auprès de leur famille. La Croix Rouge française les plaça dans un Préventorium à Hendaye pour y être soigné. Un jour, alors qu”ils ne s’y attendaient plus, leur mère arriva. Ils sont par la suite rentrés chez eux à Roubaix une fois leurs soins achevés. Cependant, leur maison avait été pillée ; il n’ y avait plus rien, “même la tapisserie était déchirée” nous raconte la rescapée. Avec l’aide généreuse de leurs voisins, ils ont pu petit à petit reconstruire leur foyer. Plus tard, ils apprirent par d’autres déportés que leur père avait été mitraillé par les nazis quelques jours avant la libération du camp où il se trouvait. Les enfants ont alors compris qu’ils ne reverront jamais leur père.
Traumatisés par les événements, les membres de la famille eurent beaucoup de mal à parler de leur vécu. Si quelquefois, ils s’exprimaient, les personnes autour semblaient mettre en doute ce qu’ils racontaient, ce qui était très douloureux pour eux. Toutefois, ils sont parvenus à se reconstruire : ainsi André est devenu professeur de français et a écrit une thèse portant sur les enfants déportés.
Quant à Lili Leignel, elle n’a cessé de témoigner le plus possible notamment après l’émergence de thèses négationnistes qui niaient la Shoah et la participation de l’Etat français dans les déportations. Son combat ne s’est pas arrêté là. Elle a écrit 3 livres adaptés à plusieurs publics (enfants, adolescents,…) pour laisser une trace écrite de son histoire : “Je suis encore là” (2017), “Et nous sommes revenus seuls” et “J’avais votre âge” (2021). Le but de toutes ses actions : promouvoir la paix et la tolérance et mettre fin à la haine, au racisme, à l’antisémitisme.
Livre offert au CDI par Lili Leignel | Dédicace de Lili Leignel |
Lili Leignel nous a fait part de l’épreuve marquante et douloureuse de sa vie, à la fois unique et singulière, mais aussi commune à tous les juifs → à de nombreux juifs déportés. Elle nous a aussi communiqué un message d’espoir : elle compte sur nous, la jeune génération, « mes petits messagers » comme elle dit, pour ne pas oublier et continuer à transmettre les horreurs passées dans les camps afin d’éviter qu’elles ne se reproduisent à l’avenir.
Les élèves du lycée Pape Clément ont écouté avec attention et émotion son témoignage, accompagné de chants en français, allemand et tzigane qu’elle chantait avec d’autres enfants dans les camps. L’ensemble des élèves et des personnels présents la remercient pour sa venue qui a permis d’évoquer cet événement sombre de l’histoire qui nous concerne tous.
A.C.-L. et M.M.
Pour plus d’informations à son sujet…
https://shs.cairn.info/revue-le-monde-juif-1992-1-page-129?lang=fr
http://www.fondationshoah.org/memoire/lili-keller-rosenberg-une-vie-une-voix-elsa-grenouillet
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