Iles Midway, 5 juin 1942

Le Teilen se faufilait sans difficulté sous les eaux, évitant avec aisance les carcasses et les débris de vaisseaux coulés. A l’intérieur, toute la bonne ambiance s’était dissipée, chacun des membres de l’équipage se concentrant pleinement sur sa tâche. En effet, bien qu’il soit très maniable, le Teilen nécessitait une maîtrise parfaite. La moindre erreur de pilotage coûtait extrêmement cher puisqu’elle risquait de faire exploser le Teilen, ses occupants mais aussi tous les bateaux et sous-marins se trouvant dans un rayon d’environ un kilomètre. Fein et Vito aux commandes, Lusti et Hiro aux postes d’attaque et Jin au radar, essayant de percevoir une quelconque forme de vie, tous étaient prêts à répliquer à la moindre attaque. Ce ne fut que deux heures plus tard qu’ils en aperçurent les premiers signes . Plusieurs navires se faisaient face à la surface et on distinguait deux autres sous-marins, attendant très certainement des instructions. L’équipage ne s’inquiéta pas outre-mesure. Il n’y avait qu’une dizaine de navires au total, signifiant que ce combat se déroulait très probablement à l’écart du combat principal. Étant invisible aux sonars adverses, le Teilen les contourna rapidement et continua sa route. Leur véritable objectif se trouvait très certainement au centre de la bataille et le rapport des forces était encore suffisamment équilibré pour qu’on ne puisse distinguer un véritable vainqueur. Mais l’intervention du Teilen allait tout changer. Il allait, en un instant, faire remporter la victoire aux forces de l’Axe mais également envoyer un message clair aux Alliés : ils ne peuvaient pas gagner, l’avancée technologique de l’Axe était trop importante. En effet, les cinq compagnons avaient reçu leurs instructions. Elles étaient brèves et précises : détruire ,à l’aide du nouvel armement nucléaire, les navires de Nimitz, Fletcher et Spruance. Sans leurs commandants, les forces adverses ne pouvaient espérer la victoire. A l’aide de missiles guidés, la tâche allait être réglée en un instant. Alors que le sous-marin s’approchait de plus en plus des îles, la bataille commençait à s’accentuer, des débris d’avions tombant même du ciel. Malgré toutes ces difficultés, le groupe parvint à se faufiler au milieu de la bataille. Le Teilen ne pouvait plus espérer se diriger jusqu’aux vaisseaux amiraux aussi facilement et discrètement. En effet, pour le rendre aussi maniable et discret, les ingénieurs avaient dû négliger le blindage du sous-marin. Aussi, Hiro et Lutsi quittèrent la salle de contrôle et se dirigèrent vers la troisième salle du Teilen, après celle de pilotage et de repos, pour préparer les missiles. Cette salle était la plus grande de toutes et occupait presque trois quarts de l’espace. Pourtant, lorsqu’on entrait à l’intérieur, on pouvait se demander si cette information était véridique. Des tas de caisses et de cartons étaient empilés contre tous les murs de la pièce. Au sol, plusieurs armes étaient installées, allant du pistolet le plus simple jusqu’au missile imposant. Mais tout cela n’encombrait qu’une partie de l’espace. Dans un coin, plusieurs machines étaient installées, créant un léger bruit de fond. Ces machines étaient la clef de tout ! Elles contenaient le savoir entier de plusieurs années de recherches allemandes et japonaises. Dans ces machines, se trouvaient l’arme ultime, qui allait plier tous les pays sous sa volonté. Elle permettait, en effet, de contenir l’énergie nucléaire dans différents instruments. Hiro et Lutsi avaient ici prévu de créer des missiles nucléaires qui, grâce au savoir japonais, pourraient se contrôler depuis le centre de contrôle, rendant la victoire assurée. Le seul inconvénient de cette machine était le fait que le temps de préparation était très long. Le prototype n’avait en effet pas pu être amélioré de ce côté là, au risque de rendre la machine beaucoup plus instable. Les missiles furent installés dans le compartiment prévu et les deux hommes retournèrent à la salle de pilotage. Lorsqu’ils rentrèrent, ils sentirent que quelque chose n’allait pas. Les autres étaient tendus, droits sur leur chaise, le regard vide. Jin paraissait sur le point de fondre en larmes. Mais, cette impression se dissipa aussi vite qu’elle était apparue. Jin sembla se reprendre, Vito reprit sa posture nonchalante et ils se retournèrent en demandant si tout avait fonctionné. Seul Fein resta dans sa position. On pouvait le prendre pour un adorateur des idées allemandes ou même un espion, tentant de se faire bien voir. Mais, jamais, au grand jamais, Lusti ne l’avait vu ainsi, au cours de toutes les années où ils avaient travaillé ensemble. Tout son corps semblait appeler à l’aide, Lusti put même apercevoir ses mains trembler. Mais, encore une fois, cette impression se dissipa. Fein sembla reprendre, sa posture, se détendit et, lui aussi, se retourna, attendant les réponses, ne laissant transparaître aucune trace d’une émotion quelconque sur son visage. 

« – Ouais, c’est bon, répondit Lutsi.

– Tout s’est passé comme on l’avait prévu, ajouta Hiro

Fein sembla se détendre un instant, puis demanda :

– Alors… Plus qu’une heure ?

– Plus qu’une heure, confirmèrent ensemble Jin et Hiro.

– Parfait… »

Pour tous ceux dans le sous-marin, cette réponse semblait banale. Mais, pour quelqu’un qui le connaissait aussi bien que Lusti, cette réponse n’avait rien de naturelle. Il s’apprêtait à demander si tout allait bien lorsqu’un voyant s’alluma. Fein se retourna aussitôt et chacun put apercevoir, à travers les vitres du Teilen, plusieurs navires japonais tombant dans l’océan, comme frappés par quelque chose d’invisible. Aucune trace d’impact n’était à signaler. Ils semblaient simplement… couler. Parmi ces navires, ils purent apercevoir l’emblème du commandant Yagamuchi. Hiro, plus que tous les autres, resta sans voix. Au fil de nombreuses conversations, les autres membres de l’équipage avaient compris que Hiro avait une admiration sans pareille pour Yagamuchi. Il était capable de parler de lui pendant des heures, allant de sa plus grande victoire militaire à sa plus grande défaite. Il pouvait donner avec précision le nombre d’hommes qui accompagnaient ce commandant dans presque chacune, si ce n’est toutes, de ses batailles. Les autres, même Vito, qui était t extrêmement doué en histoire militaire, n’avaient jamais réussi à le prendre en défaut sur ce sujet. Lorsqu’il avait appris où le Teilen se rendait, Hiro était le plus excité de tous, son visage brillant d’une émotion que les autres n’avaient jamais réussi à lui faire reproduire. A cet instant, il semblait simplement triste. Son visage n’exprimait aucune véritable émotion et pourtant, tous pouvaient sentir en lui, un immense chagrin. Il s’assit, repoussa la main de Jin et tous passèrent l’heure suivante en silence. La bataille n’était pas encore perdue.Il y avait encore de nombreux vaisseaux amiraux et les japonais ne perdaient pas de terrain. Et pourtant, quelque chose s’était brisé durant l’inexplicable mort de Yagamuchi, quelque chose de similaire à ce qu’a ressenti Hiro dilué sur toute la flotte japonaise. L’heure passa lentement. Personne n’osait parler, chacun espérant qu’un autre prenne la parole. Celui qui brisa le silence fut un voyant bleu, accompagné d’une alarme, signifiant que les missiles étaient prêts. Toujours sans prononcer le moindre mot, Hiro et Lutsi se levèrent lentement de leur siège et s’appretèrent à quitter la pièce lorsqu’un autre voyant, rouge cette fois-ci, apparut. Tout le monde se précipita aux hublots, espérant voir quelque chose. En réalité, il s’agissait simplement de missiles manqués qui se dirigeaient vers eux. Sans un mot, Fein se rassit et pivota le Teilen de manière à éviter les missiles. Ce fut lorsque deux autres missiles arrivèrent que l’équipage commença à se poser des questions. Ils esquivèrent cette seconde vague et une troisième qui arrivait dans la foulée. Le Teilen étant invisible sur tous les radars, il n’y avait plus qu’une seule explication possible, bien qu’elle soit très douloureuse à imaginer. Quelqu’un les avait trahis ! Et pourtant… Aucune des personnes sur les navires ou avions japonais ne connaissait, ni leur existence, et encore moins, leur position exacte. Chacun ayant le même cheminement de pensée, tous se retournèrent en même temps les uns vers les autres. Qui ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? Tous se posaient les mêmes questions et tous se dévisageaient avec de la méfiance dans le regard. Alors que Lutsi s’apprêtait à parler, ils entendirent un bruit très caractéristique. Un avion volait au-dessus d’eux. Tous se précipitèrent vers les commandes, pensant d’abord à leur sécurité plutôt qu’à trouver le coupable. Mais, il était trop tard. L’avion plongeait déjà sur eux et tirait une rafale dévastatrice. Étonnamment, le sous-marin tint bon, malgré la perte des commandes et de tous les autres systèmes. Ce n’est que lorsque l’avion fit demi-tour que chacun sut que c’était la fin. Qui ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? Ces questions étaient comme une obsession dans la tête de tous. L’avion tira. Le sous-marin explosa, entraînant dans sa chute tous ses occupants mais également la totalité des forces présentes sur le champ de bataille à cause de l’explosion nucléaire. 

Alors qu’il coulait dans les profondeurs, Feinwasser vit des visages autour de lui. Ils semblaient déçus mais il ne put le confirmer. Déjà, ses yeux se fermaient et son âme l’abandonnait. Au-dessus de lui, tout n’était que feu et explosion. Et pourtant… Il se sentait si calme… Il ferma ses yeux et laissa la mort s’emparer de lui…

Lieu inconnu, 5 juin 1942

Dans une pièce sombre, dans un pays inconnu, un voyant s’allume. L’air nonchalant, Friedrich leva la tête.

« Oh… Alors ça, c’est inattendu… Le projet T a donc finalement trouvé un réceptacle…

A suivre…

G.P.

Illustration : Par Bundesarchiv, DVM 10 Bild-23-63-65 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 de (wikipedia)