Pierre Karleskind, député européen (Crédits photo : Wikipédia)
À l’occasion du mois de mai, le mois de l’Europe, Le Pap’ a fait passer un sondage dans des classes de terminale pour recueillir le ressenti des élèves sur l’Europe*. Ces réponses ont été partagées avec un député européen, Pierre Karleskind, qui en a profité pour évoquer certains sujets liés à l’Union Européenne.
Le 9 mai 1950, Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, propose une mise en commun des productions de charbon et d’acier de la France et de l’Allemagne via le Plan Schuman, et jette ainsi les bases d’une union entre les pays européens. Soixante-et-onze ans plus tard, l’Union Européenne existe toujours et garde en héritage ce projet de paix initié après la Seconde Guerre mondiale.
Qu’est-ce que l’Union Européenne ?
Lorsque Le Pap’ a demandé aux Terminales de donner toutes les idées qu’ils avaient lorsqu’on leur dit « Union Européenne », de nombreuses réponses positives sont ressorties : Schengen, unité, solidarité économique, Euro, groupe de décisions, Allemagne, échange, solidarité, Maastricht, drapeau, 6 pays fondateurs, 27 États-membres, Francfort (Banque centrale européenne), Bruxelles (Commission européenne), ERASMUS, carte européenne d’assurance maladie, libre circulation, aucune frontière, Parlement européen, solidarité, paix, coopération, accords économique, « unis dans la diversité ».
Certains ont évoqué les compétitions sportives, comme la coupe d’Europe, mais pour d’autres, l’Union Européenne ne leur évoque rien, ou alors il s’agit pour eux d’une arnaque. Le Brexit a ainsi été souvent évoqué.
« L’Union Européenne est un espace de volonté, d’avenir, et de projets. »
Pierre Karleskind, député européen
Pour Pierre Karleskind, député européen, l’Union Européenne est « un territoire vaste », et, pour citer l’historien français Raymond Aron, « un empire par consentement ». En effet, dans la plupart des empires, l’union est opérée par la force, via des guerres, alors que l’union des pays européens s’est faite par la paix. « Par une même autorité, avec un même projet, l’Union Européenne est tournée vers un avenir que ses citoyens se proposent de construire en commun. C’est le plus vaste espace démocratique ayant cette ambition. C’est un espace de volonté, d’avenir, et de projets » explique le député.
Les lycéens et l’Union Européenne, un rapport complexe
Presque neuf élèves sondés sur dix se considèrent européens, et une petite minorité n’est plutôt pas d’accord avec cette idée. Cependant, 70% sont sans avis lorsqu’on leur demande s’ils trouvent que les préoccupations des citoyens européens sont entendues au sein des institutions européennes. Moins de 25% se sentent plutôt bien entendus, le reste n’étant pas d’accord. Beaucoup d’élèves sans avis expliquent qu’ils ne savent pas vraiment ce qui se passe dans les institutions européennes, et de facto ne peuvent répondre à cette question.
Pierre Karleskind demande en retour s’ils font la démarche de se renseigner. « Il y a pourtant de l’information. Tous les comptes-rendus sont diffusés, il en va de même pour les séances. Il y a beaucoup d’articles sur les sites institutionnels. Il faut avoir une position active, même si cela est compliqué. La démocratie ne peut pas vivre avec des citoyens passifs. »
Pourtant, le député n’est pas étonné que le message ne soit pas reçu simplement. « Il y a un déficit d’information sur l’Union Européenne en France » explique-t-il. « À titre indicatif, il y a dix-sept correspondants à Bruxelles pour l’ARD [la première chaîne de télévision publique, NDLR] contre un seul pour France 2. Dès qu’il y a un sommet européen, tous les journaux allemands parlent de ce qu’il s’y passe, alors qu’en France, cela occupe trente secondes dans le journal télévisé du soir. Il faut donc se renseigner car l’information est mauvaise en France. » Un héritage de la vision franco-française de l’Europe. « Ce n’est pas simple d’avoir de l’information quand on n’en a pas. »
« Il y a un déficit d’information sur l’Union Européenne en France. »
Pierre Karleskind, député européen
Pour y remédier, France Télévisions verse des primes aux rédacteur en chef qui parlent de sujets européens. « Il y a néanmoins un espoir : en 2022, un Français assurera la présidence du conseil de l’Union Européenne. J’ose espérer que les médias français saisiront la balle au bond » indique le député.
Être député européen au temps de la crise sanitaire et des enjeux du monde actuel
L’épidémie de coronavirus a impacté le travail des députés européens. « Nous commençons à voir le bout du tunnel » glisse Pierre Karleskind. « Déjà au niveau de l’emploi du temps. La crise sanitaire a accru notre charge de travail. Il fallait répondre très vite avec des mesures d’urgence. Il y a 10 ans et demi, l’idée que l’Union Européenne achète des vaccins était inimaginable. Il ne fallait surtout pas traiter de santé. Face à la crise, si chaque pays tire dans son coin, une concurrence s’installe entre les Vingt-sept et tout le monde perd. ». Des mesures d’urgence ont été prises pour des secteurs économiques particuliers, comme par exemple pour les pêcheurs et les aquaculteurs, qui ont vu le marché du poisson s’effondrer pendant le confinement.
Cela fait presque un an que le plan de relance européen de 750 milliards d’euros a été adopté. « C’est totalement inédit en Europe » explique le député. « Jusqu’à présent, il était impossible que l’Union Européenne emprunte 750 milliards, car c’était interdit. 50 ans de dogme ont cessé. » En quelques mois des débats très vifs ont eu lieu sur ces sujets mais le programme prévu sans crise a également été fait. Il concerne deux grands sujets : le green deal, une lutte contre le réchauffement climatique et la perte de biodiversité et un travail sur le numérique, qualifié de « nouvelle révolution industrielle ».
La crise a également changé les façons de travailler des députés européens. « Il est impossible de maintenir le Parlement européen avec tout le monde, ou sinon vous aurez un joli cluster ! Tout ce qui se passe en physique a été annulé. Dans les réunions, seul le président était présent, le reste l’était sur écrans. Nous avons appris à travailler et voter à distance dans le Parlement, mais il est temps que cela s’arrête. Nous travaillons dans 24 langues, avec différentes cultures, habitudes, façons de penser, principes politiques. Toutes les relations informelles, comme parler dans les couloirs, dans les cafés pour se mettre d’accord, ont été annulées. Ces relations sont pourtant l’utilité du parlement. »
« Il n’y avait pas de service administratif européen capable de commander des vaccins en juillet 2020. »
Pierre Karleskind, député européen
L’amendement oral a également été supprimé : il permet, « si l’on se rend compte au dernier moment qu’un article doit être modifié, de le modifier. Cette suppression est très pénalisante. En séance plénière, des rapports n’ont pas été adoptés, faute de ces compromis de dernière minute. »
Sans avoir à débattre sur le fait que la crise ait affaibli ou renforcé l’Union Européenne, certains chiffres permettent de voir les conséquences de l’épidémie. « Il y a un an et demi, nous votions le budget pluriannuel 2021 – 2027. Nous « pinaillions » pour savoir si cela allait être 1000 ou 1100 milliards d’euros. Avec le plan de relance, le budget est porté à 1750 milliards d’euros. L’Europe est donc plus forte en moyens d’intervention budgétaire. »
En matière de santé, « il y a trois/quatre mois, nous avons eu une petite crise car nous n’étions pas livrés suffisamment en vaccin AstraZeneca. Beaucoup ont dit que l’Union Européenne ne savait rien faire. Il faut savoir qu’il n’y avait même pas de service administratif capable de commander des vaccins en juillet 2020. Nous avons 450 millions de personnes à vacciner. La solidarité européenne a marché, les fabricants étaient plus ouverts sur la négociation. Si l’Europe a réussi, cela relève de l’exploit car elle n’était en aucun cas capable de faire ça il y a un an. »
Pierre Karleskind explique le lent début de la campagne vaccinale qui a été critiquée en janvier dernier par la rigueur intellectuelle et morale de l’Union Européenne. « Des validations ont été opérées par les laboratoires européens pour éviter d’injecter de mauvais vaccins. De plus, nous sommes capables d’envoyer des vaccins dans le reste du monde. » 200 millions de doses de vaccins ont été exportées, ce qui montre « la solidarité européenne avec ses valeurs ». En citant Jean Monnet, le député européen explique que l’Europe se construira dans des crises, la vaccination en est un exemple.
« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises »
Jean Monnet
Plus de la moitié des élèves sondés trouvent l’Union Européenne plutôt apte à faire face aux enjeux à venir, mais de nombreuses réticences sont présentes. Par exemple, beaucoup ne sont pas sûrs que l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt individuel de chaque pays.
À cela, le député répond qu’au Parlement européen, « les représentants des concitoyens siègent – les États étant représentés à la Commission Européenne. L’idée de l’Union Européenne et de l’importance de l’intérêt général vis-à-vis de l’intérêt individuel dépend uniquement des citoyens. Sur certains sujets, il faut savoir prendre des décisions qui peuvent désavantager certains pays. Par exemple, pour le plan de relance, si on a une vision purement comptable, la France n’aurait jamais dû accepter. Elle profitera de 40 milliards d’euros mais en remboursera 60. Cela va donc coûter 20 milliards d’euros. Il faut alors se demander pourquoi il y a un plan de relance européen. Si l’on considère l’étroite liaison entre les économies européennes et que l’économie d’un pays qui s’effondre entraîne l’effondrement de celle des pays voisins, alors sans plan de relance, la France aurait perdu plus que 20 milliards. » Tout dépend de l’avis des citoyens.
A la question « Qu’est-ce qui fait que l’Union Européenne est apte, ou non, à répondre aux enjeux actuels ?« , les élèves ont répondu :
OUI | NON |
Volonté de chercher à limiter les émissions de CO2 Plusieurs pays résistent mieux qu’un seul Instances assez complètes, toutes les conditions sont réunies, si l’UE veut, elle peut Bonne réaction pour la Covid-19 Aide pour les pays en difficulté On ne peut que s’améliorer Dans le bon sens, bonne adaptation Panneaux qui annoncent qu’un chantier est financé par l’UE Il faut une Europe fédérale L’unité donne du pouvoir et permet de répondre face aux urgences | Utilisation de charbon en Allemagne, du nucléaire en France pour produire du courant électrique Catastrophe économique, production de masse qui conduisent à une baisse de la valeur de l’Euro Prêts à taux négatifs, des prêts impossibles à rembourser On n’en parle pas assez Informations pas assez accessibles Les États ne respectent pas vraiment les dispositions Problème de fonctionnement avec 27 États, très peu de consensus Les décisions ne vont pas très loin (réglementation sur le coton-tige), pas de grosses choses concrètes Les lois fixées par l’UE font que chaque pays peut moins facilement agir (normes de pêche) Peu de coopération L’économie compte trop par rapport au climat Burocratie Eurosceptisme |
L’amitié franco-allemande au sein de l’Union Européenne
Le couple franco-allemand est souvent cité lorsque l’on parle de coopération européenne. « Les pères fondateurs de l’Union Européenne, français et allemands, lorsque par une coopération économique créent la CECA [le 18 avril 1951, NDLR], s’engagent dans la paix. Les productions de charbon et d’acier étant inséparables entre la France et l’Allemagne, une guerre est impossible car ces industries nécessaires à l’armement feraient faillite. Les relations entre la France et l’Allemagne sont particulières. Il y a eu 12 millions de Français et d’Allemands morts entre 1870 et 1945 par les guerres entre ces deux pays. En autant de temps, entre 1945 et aujourd’hui, il n’y a eu aucun mort. Ces deux pays partagent une histoire commune par la construction de l’État-nation [un État-nation est un concept qui juxtapose la nation, les individus qui se considèrent liés entre eux et l’État en tant qu‘organisation politique, NDLR]. Le couple franco-allemand reste important, car il fait la distinction entre les pays du nord de l’UE et les pays du sud de l’UE, même si la donne a changé avec l’entrée des pays de l’est. La France est le pays le plus au nord des pays du sud et l’Allemagne est le plus au sud des pays du nord. Ils sont une bonne voie d’atterrissage pour le projet européen. Leur capacité à travailler ensemble font d’eux deux poids lourds historiques, économiques, et politiques. Quand Emmanuel Macron et Angela Merkel décident ensemble d’un plan de relance européen, cela marche. Le couple franco-allemand a encore de l’avenir. »
Ainsi va l’Union Européenne. Il est possible d’en apprendre plus sur l’Union Européenne sur les sites institutionnels du Parlement européen, et de l’Union Européenne qui mène vers tous les autres sites des organes institutionnels.
R.T.
* À propos du sondage : sondage réalisé du 19 au 31 mai 2021 sur un échantillon de 68 élèves de Terminale, en fonction des disponibilités des journalistes et des professeurs des classes. Sondage mené par le rédacteur en chef et R.T. . Mise en forme des résultats R.T.