Elle commence son histoire par la première fois qu’elle a vu le monstre. C’était il y a deux ans, peut-être trois. Dans tous les cas, elle se rappelle que c’était une période très difficile pour elle, notamment après l’apparition du monstre. Elle devait sûrement être adolescente. Elle avait une vie simple, une vie comme tout jeune de cet âge.
Ses seules préoccupations étaient de savoir comment elle allait s’habiller le lendemain ou quels cours elle avait dans la journée. Elle avait une famille qui lui apportait chaleur et réconfort et avec laquelle elle aimait passer du bon temps. On pouvait compter ses amis sur les doigts d’une seule main mais cela n’empêchait en rien toutes les formidables journées qu’elle pouvait passer avec eux.
Elle avait également de bonnes notes à l’école. Ce n’était pas la meilleure des élèves mais son travail et sa discrétion semblaient tout de même porter ses fruits. Elle ne connaissait pas l’amour mais ne voyait pas l’intérêt de tomber amoureuse. Elle se disait simplement qu’un jour, elle trouverait la bonne personne mais qu’il était inutile de la chercher. Il est vrai que certaines fois, elle se posait beaucoup de questions sur elle-même et sur sa vie.
Mais tout le monde a déjà connu, lors de cette période, des moments dans lesquels on ne sait pas vraiment qui on est ni quel est notre objectif pour avancer, pas vrai? Malgré tout cela, ses doutes s’en allaient bien vite et Manaé était la plupart du temps heureuse. C’était une adolescente ordinaire qui vivait une vie ordinaire dans la joie et la bonne humeur.
Cependant, cette façon de vivre ne continuerait pas longtemps et notre jeune fille ne se doutait pas qu’une rencontre allait changer sa vie. Premier jour de classe. Elle s’était assise sur les rangées du milieu pour ne pas être tout à fait devant ni tout à fait derrière non plus. Quelques minutes plus tard, elle vit ce garçon se placer à côté d’elle.
Il était grand pour son âge et avait de beaux yeux bruns. Ses cheveux étaient coiffés par le vent qui soufflait à travers les fenêtres et les faisait bouger continuellement. Manaé admirait ce garçon pas tout à fait homme. Du fait de leur proximité en classe, ils commencèrent à se parler et ils devinrent amis. Ils passaient la plupart de leurs journées ensemble. Ils mangeaient ensemble, se promenaient ensemble sous la chaleur des après-midi et même, certaines fois, ils faisaient leurs devoirs ensemble à l’ombre sous les arbres.
C’est ainsi qu’elle tomba amoureuse. Manaé, heureuse, se sentait étrangement bien à côté de ce garçon qu’elle aimait. Chaque jour, son amour devenait plus fort. Chaque jour, son cœur s’enflammait à ses côtés.Un matin, la veille des vacances d’automne, elle décida de se jeter à l’eau et d’avouer ses sentiments. Il pleuvait. La pluie froide tombait déjà depuis quelques heures.
Les feuilles des arbres du lycée étaient fouettées par le vent fort. On eût dit une tempête. Manaé, ruisselante, avoua à l’homme qu’elle aimait tout ce qu’elle avait sur le cœur. Elle le lui dit avec tellement de tact, de confiance qu’elle-même n’en revenait pas de ses paroles. Elle attendait sa réaction sous un regard doux.
Elle souriait déjà en pensant à ces futurs après-midi de vacances, se promenant main dans la main. L’adolescent n’eut pas l’air de cet avis. Il lui dit, non sans hésitations, qu’il ne souhaitait pas être avec elle, qu’il la considérait juste comme une amie, rien de plus. Il semblait terriblement désolé. La quiétude se reflétait sur son visage. Cette annonce fit valser le cœur de son admiratrice. Elle crut voir le monde s’écrouler devant elle.
Elle partit sans un regard, les yeux humides. Ses larmes se confondirent avec les gouttes de pluie glacées. Elle pleura beaucoup. Elle pleura longtemps.Deux semaines plus tard, elle revit le garçon. Il lui demanda comment elle allait et elle mentit en disant qu’elle allait bien alors qu’elle n’arrivait pas à s’en remettre.
Parfois, elle se surprenait à penser à lui, à ses yeux sombres comme le bois et ses cheveux volant au vent. Quant au garçon, il semblait oublier ce qui s’était passé la veille des vacances ou du moins il voulait oublier ce qui s’était passé. Seule sa voix, hésitante et changée, le trahissait. Alors que la jeune fille discutait avec lui, une fille blonde aux grands yeux à la couleur du ciel d’été vint les voir.
Elle passa son bras autour du garçon et l’embrassa sur la joue. Gêné, il la lui présenta. Elle portait une jolie robe bleu marine qui soulignait admirablement sa taille fine. Elle n’était ni trop petite ni trop grande. Elle était simplement parfaite. Manaé ne fut pas à l’aise près de cette personne au large sourire.
Le garçon raconta qu’elle était sa petite amie qu’il avait rencontrée durant les vacances et pour qui il eut immédiatement le coup de foudre. Cette dernière hocha la tête et ses belles boucles retombèrent sur ses épaules. Manaé oublia rapidement oublié le nom de la nouvelle venue. La mine triste, elle s’en alla, sous le regard incrédule des deux amoureux.
Elle décida de rentrer chez elle plus tôt que prévu. Sur le chemin du retour, elle n’arrêtait pas de réfléchir, de chercher des réponses à ses nombreuses questions. Tout d’abord, la colère prit le dessus. Elle ne comprenait pas pourquoi il sortait avec une fille qu’il connaissait depuis deux semaines seulement et non avec elle qu’il connaissait depuis plusieurs mois!
Et puis qu’avait-elle de plus cette fille qui sortait de nulle part? Tout. Elle avait tout, cette fille. Vinrent ensuite tristesse et désespoir. Elle se rappelait le regard scintillant du garçon quand il lui parlait de cette fille. Les rayons du soleil brûlaient ses yeux larmoyants. Elle se sentait plus seule que jamais. Ses parents lui expliqueraient que ce n’était qu’un simple chagrin d’amour mais cela représentait plus pour Manaé.
Elle avait le sentiment que sa vie serait changée à tout jamais. Son cœur se serrait aux souvenirs des moments passés, heureux et insouciants. Elle arriva chez elle. Quelques larmes creusaient des sillons sur ses joues. Elle ouvrit la porte. Un grand miroir horizontal avec un cadre en bois clair était situé au bout de l’entrée de sa maison. Ses yeux se posèrent sur celui-ci.
Elle resta stupéfaite et comme pétrifiée face à ce qu’elle voyait. Il était là. Il la fixait de ses yeux minuscules. Le monstre. Il la regardait intensément. On aurait dit qu’il observait chaque détail de son corps. Chaque détail, même les plus insignifiants. Ce fut la première apparition du monstre. Manaé, terrifiée, se retourna. Elle ne vit rien. Peut-être n’était-ce qu’une hallucination? Elle observa de nouveau le miroir. Il continuait de l’observer.
La jeune fille aurait voulu partir en courant. Elle ne fit rien. Son corps ne pouvait bouger. Son regard était fixé sur la créature. Étrangement, le monstre non plus, ne bougeait pas. Il restait là, immobile.
E.M.