Comme chaque année, s’est déroulé à Gradignan début octobre le traditionnel salon du livre de poche, Lire en Poche, cette fois sur le thème “Un autre monde?” La marraine de cette édition était Florence Aubenas, et elle a partagé sa vision du journalisme lors d’un grand entretien.
Qui est Florence Aubenas ?
Florence Aubenas, vous la connaissez peut-être : elle est journaliste au Monde, depuis 2012, mais surtout, elle est célèbre pour avoir été enlevée en Iraq en 2005, et gardée en otage durant six mois.
Dans l’entretien, elle a expliqué que c’est cet enlèvement qui lui a donné la liberté d’écrire, car elle ne se souciait plus du regard des autres. Florence Aubenas est également écrivaine, elle a écrit des romans qui racontent des histoires vécues, comme Le Quai de Ouistreham ou L’Inconnu de la Poste.
La presse selon Florence Aubenas
Dès le début de l’entretien, elle annonce que devenir journaliste n’était pas sa vocation : elle se destinait à être critique littéraire. C’est plus tard qu’elle est devenue reporter… et qu’elle l’est restée !
Selon elle, l’enjeu du journalisme, c’est “chercher ce qu’il y a comprendre, et qu’on ne comprend pas encore, c’est une envie de savoir.” C’est pour ça qu’elle dit, avec humour : “Il ne faut pas avoir d’imagination pour être journaliste…”, une phrase qui résume en fait son point de vue sur la presse.
Car quand on n’a pas d’imagination, on ne part pas avec des a-priori, donc on ne risque pas de se focaliser sur un aspect ou une personne au détriment des autres, et de ce qu’on aurait pu découvrir. Trouver le bon angle est crucial dans un article, car un angle serré empêche de comprendre le problème : il faut saisir une situation dans sa globalité.
L’opinion du journaliste est finalement moins importante, et il doit s’effacer devant son sujet, pour raconter les gens tels qu’ils sont. C’est justement le problème avec la presse people, par exemple. Interrogée à ce sujet, Florence Aubenas a répondu qu’il n’y a pas de “mauvais sujet” : le danger est, en fait, que le journaliste prenne toute la place.
Le journalisme, une forme de trahison ?
C’est une question qui s’est posée particulièrement lors de l’écriture du Quai de Ouistreham. Le Quai de Ouistreham, c’est une expérience sociale qu’elle a menée en 2009. Pour comprendre la crise économique, elle est partie à Caen, et elle s’est inscrite au chômage, avec pour seul bagage un baccalauréat.
Durant près de six mois, elle a tenté de trouver du travail. Elle a arrêté en juillet 2009, quand elle a obtenu un CDI, et elle en a fait un livre. Comme elle l’a raconté, elle avait commencé cette expérience sans scrupules, assez naïvement, même. Elle a vécu avec les femmes de Ouistreham, elle a partagé leur vie.
Mais elle a réalisé ensuite qu’elle les trompait, et qu’il serait difficile de le leur avouer. C’est un exemple assez extrême, mais le problème se pose en fait tout le temps : jamais, dans un article, on ne peut tout raconter. Jamais on ne peut écrire tout ce qui a été dit dans une interview.
L’image qu’on donnera sera incomplète, déformée. On peut alors se demander si c’est trahir ceux qui se sont confiés à nous… Florence Aubenas donne un autre exemple, celui d’une pâtisserie où elle a fait un reportage. Les employées lui disaient, en rigolant, que tous les hommes, tous, même le stagiaire, étaient payés 20 centimes de plus que toutes les femmes, y compris la plus ancienne, et recevaient chaque mois une boîte de biscuits en prime.
La journaliste écrit un article, indignée, mais elle reçoit le lendemain une pétition des femmes de la pâtisserie : l’article les fait passer pour des imbéciles et elles exigent qu’il soit retiré. C’est pour cette raison qu’elle a pris l’habitude de faire lire les articles qui les concernent aux personnes qu’elle a rencontrées, avant qu’ils ne soient publiés, car selon elle, “il n’y a rien de plus désagréable que d’ouvrir le journal le matin et de se le prendre dans la figure”.
Un nouveau regard
Pour conclure, cet entretien offrait de nouvelles perspectives sur la presse, et a abordé aussi des sujets moins réjouissants (comme la guerre en Ukraine, ou d’autres dont je n’ai pas parlé ici), mais tout en restant très positif ! C’était particulièrement intéressant d’avoir un point de vue “de l’intérieur”.
Alors l’année prochaine, n’oubliez pas de noter la date de Lire en Poche dans vos agendas !
Pour continuer : les romans de Florence Aubenas
• Le Quai de Ouistreham : disponible au CDI (coup de cœur !)
• L’Inconnu de la Poste
• La Méprise
• En France
A.W.