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Selon plusieurs sondages, les journalistes exercent la cinquième profession la plus détestée des Français, derrière les assureurs et les politiciens. La défiance envers les médias se fait de plus en plus ressentir, la pandémie de coronavirus l’ayant une nouvelle fois montrée.
Le pari du podcast « Moi, journaliste » est de permettre à l’auditeur de découvrir ce que les journalistes pensent de leur profession, leurs méthodes de travail, et comment ils voient l’avenir de leur métier, dans un monde en pleine mutation. Sortie à partir de mai dernier, la première saison, orchestrée par Raphaëlle Orenbuch, journaliste bordelaise travaillant dans la presse locale, comporte une dizaine d’épisodes. Certains reconnaîtront dans le titre du podcast un clin d’œil à la phrase prononcée par François Hollande lors du débat des présidentielles en 2012 « Moi, Président de la République ».
Tous les « types » de journalistes ou presque sont à la place de l’interviewé : de journalistes à BFMTV en passant par des noms connus sous leur plume ou encore des reporters de guerre et tous se livrent ainsi « en toute sincérité et toute subjectivité » sur leur métier, la ligne directrice du podcast. Entretien avec la journaliste à l’origine de ce projet.
Le Pap’ : Le podcast est sorti tout juste après le confinement du printemps 2020, une période durant laquelle les fake news, ainsi que le manque de confiance en les médias s’est encore plus révélé. Ce projet est-il né à ce moment-là ?
Raphaëlle Orenbuch : « J’étais au chômage partiel et j’ai vite ressenti le besoin de lancer un projet. Le format du podcast m’attirait beaucoup, par sa facilité et la totale liberté au niveau de la forme comme du fond. Au mois de mars, j’ai eu l’idée de « Moi, journaliste ». L’envie d’entendre des journalistes parler de notre métier si critiqué m’a tout de suite motivée. Je me suis mise à y réfléchir plus concrètement et à lister les journalistes que j’aurais envie d’interviewer et hop, le projet était lancé ! »
L.P. : Ce podcast permet d’une certaine manière de justifier le travail de journaliste en permettant de comprendre leur mode de fonctionnement, mais également leur point de vue sur leur propre profession, et sur ses perspectives. Y-avait-il comme une sorte de nécessité à faire un tel podcast ?
R.O. : « Depuis que j’exerce ce métier, c’est quelque chose qui m’interroge beaucoup. Je sais à quel point le journalisme attire, chaque année je vois des dizaines de stagiaires défiler à la rédaction où je travaille. Mais parallèlement à cet engouement, on fait face aussi à beaucoup de défiance, on entend souvent des critiques et des remises en question du métier de journaliste. La crise des
gilets jaunes a été vraiment un choc pour moi. Voir cette défiance s’exprimer avec une telle violence… Vue de l’intérieur, cette crise a en tout cas suscité une vraie remise en question qui, je crois, est un exercice nécessaire pour bien faire ce métier. Je me demande sans cesse si je suis objective, si je suis juste, si je retrace les faits de manière impartiale. Questionner d’autres journalistes sur leur façon d’exercer leur métier et sur leur perception de cette défiance et des évolutions, cela a été très intéressant. »
L. P. : Dans ce podcast, tous les « types » de journalistes sont interviewés : presse écrite, télévision, radio, mais également une youtubeuse. Quelle est la définition du métier de « journaliste », et comment le devient-on ?
R.O. : « Il existe un flou autour de cette question car beaucoup pensent que pour être journaliste il suffit d’avoir la carte de presse. Or, c’est faux, beaucoup de journalistes n’ont pas de carte de presse. Avoir fait une école est plus facile pour devenir journaliste, mais des gens talentueux peuvent très bien réussir à exercer le métier sans passer par ce cursus. C’est ce que j’ai voulu montrer à travers la diversité des intervenants. Il n’y a pas une seule façon d’être journaliste, et c’est encore plus vrai aujourd’hui, avec la multiplication des formats, des médias, des réseaux sociaux. Un journaliste est quelqu’un qui fait de l’information son métier et qui produit de l’information sur un média. »
L.P. : Après avoir travaillé pendant 6 mois sur ce podcast, quelle est votre vision sur votre propre métier ? A-t-elle évolué ?
R.O. : « Je sais en tout cas que cela m’a rassurée d’entendre tous ces (excellents) professionnels avoir les mêmes craintes, les mêmes doutes, les mêmes remises en question que moi. C’est un métier passionnant mais difficile au quotidien. Outre la défiance, on fait face à une concurrence de plus en plus rude et à une précarité qui s’accroît : les gens ne payent plus (ou moins) pour avoir accès à l’information, et donc il y a de moins en moins de postes de journalistes, notamment dans les médias traditionnels. Mais je crois qu’on aura toujours besoin d’information et d’autres types de médias vont continuer à voir le jour, il faut rester optimiste pour les futurs journalistes ! »
L.P. : La défiance envers les médias est un phénomène que nous connaissons, comme ses conséquences. Certains journalistes travaillent par ailleurs dans la lutte contre les fake news et pour une information « transparente ». Existe-t-il des solutions à ce problème ? Faudrait-il « réinventer » le métier de journaliste ?
R.O. : « Oui, c’est le cas notamment de Aude Favre, que j’interviewe dans le podcast. Elle fait un travail impressionnant pour démonter les fake news. C’est un sujet très complexe. Les complotistes ont de beaux jours devant eux, on l’a vu récemment avec le documentaire Hold Up. Et donc, oui, les journalistes ont encore beaucoup de choses à inventer pour donner accès à tous à une information de qualité et lutter contre les fake news. Quand on voit Donald Trump et ses tweets hallucinants, on se dit que le métier a de l’avenir… »
L.P. : Et donc, une idée sur l’avenir du métier de journaliste, et sur la place des réseaux sociaux ?
R.O. : « Je crois que chaque crise amène son lot d’inventions et de renouveau… J’espère que ce sera le cas pour le journalisme, et que la nouvelle génération de
journalistes, qui maîtrise à la perfection les codes des réseaux sociaux, pourra inventer de nouveaux moyens d’informer qui réconcilieront les citoyens à l’information. Il faut y croire, en tout cas ! »
L.P. : Concernant le travail de réalisation du podcast, comment s’est fait le choix des journalistes invités dans ce podcast ?
R.O. : « J’ai listé les journalistes que je rêvais d’entendre et ceux que je connaissais de près ou de loin, que je pouvais donc contacter facilement. J’ai lancé des invitations et finalement j’ai réussi à affiner ma liste pour avoir dix épisodes, dix noms, qui abordent dix angles différents (les fake news avec Aude Favre, la gestion de la « célébrité » avec Ruth Elkrief, la correspondance à l’étranger avec Alexis Buisson ou encore le reportage de guerre avec Antoine Estève …). »
L.P. : Comment prépare-t-on un épisode de « Moi, journaliste », et combien faut-il de temps pour préparer un épisode ?
R.O. : « Franchement, j’ai passé plus de temps sur le montage, parce que ce n’est pas trop mon point fort. Je suis journaliste depuis cinq ans, je connais assez bien les problématiques que j’aborde avec mes invités dans le podcast. Disons une à deux heures de préparation pour chaque épisode. Je me renseigne à chaque fois sur la carrière de la personne, je prépare une dizaine de questions et note des points-clés à aborder avec eux. Puis nous enregistrons l’épisode, et les questions s’affinent au fil de la discussion. »
L.P. : Des perspectives pour une éventuelle saison 2 ?
R.O. : « Top secret ! (rires) La première saison a donc dix épisodes et je suis très contente des retours. J’ai repris le travail en septembre et je présente désormais la matinale sur TV7. J’ai mis en stand by le podcast, mais l’engouement qu’il suscite m’a motivée et donc il y aura, peut-être, une seconde saison… Le jour où j’aurai un rythme de vie un peu plus apaisé, donc sûrement pas tout de suite (rires)… »
« Moi, journaliste » est disponible gratuitement, sur toutes les plateformes de podcast. R.T.