Cette année, s’offrait la possibilité de participer au concours de nouvelles ‘Premiers Feux’ organisé par la ville de Pessac.
Aujourd’hui, Manaé doit se préparer pour son cours de dessin. Elle prend son crayon fétiche avec un panda accroché à son extrémité. Elle sourit à la vue de la queue rousse et blanche en plastique qui entoure son crayon. Elle l’a depuis si longtemps qu’elle ne se souvient plus où elle l’a acheté.
Elle ajoute évidemment à son sac sa blouse, censée être blanche mais qui est colorée partout par des taches de peinture mauves, rouges, vertes, bleues,… Elle sait qu’il faut amener un vieux pantalon et un vieux tee-shirt car “on ne sait jamais… si la peinture transperce, au moins, ses vêtements ne risqueront rien.”. Elle vérifie que tout est fermé.
Elle balaye du regard le salon. Il est encore là. Il l’observe assidûment. Un jour, peut-être, il la laissera en paix. La paix… Elle en rêve depuis si longtemps. Elle le voit, debout devant le miroir. Elle aimerait s’en débarrasser. Si seulement c’était possible. Mais ces petits yeux qui la fixent lui font comprendre que son rêve ne se réalisera pas de sitôt.
Le monstre, voilà comment elle l’appelle. Il la suit partout où elle va, partout où elle reste. Il fait toujours aussi peur, même après quelques années. Il est vrai que le monstre n’est pas comme ceux des dessins animés ou des livres pour enfants avec beaucoup de couleurs et de naïveté. Oh non! Malheureusement!
Son corps difforme et immense aussi bien en longueur qu’en largeur fait vraiment froid dans le dos. Même Frankenstein aurait peur de lui. Il faut aussi ajouter, à cet aspect déjà effrayant, ces deux yeux minuscules qui regardent droit devant eux sans jamais cligner des paupières. Les longues jambes semblent elles aussi immobiles.
Jamais Manaé n’avait vu le monstre marcher. Il se contente simplement de l’observer, sans bouger un seul membre.Il la regarde en train de s’affairer. A-t-elle oublié quelque chose? Elle vérifie son sac pour la dixième fois avant de se décider à partir. Elle prend ses affaires et sort de chez elle.
Pendant qu’elle se dirige vers le garage de son immeuble, elle aperçoit, dans le miroir de l’entrée du bâtiment, le monstre qui la suit, comme à son habitude. Arrivée à sa voiture, elle s’installe, pose son sac sur le siège passager. Le monstre s’est assis sur la banquette arrière, comme toujours. Il ne bouge pas. Il attend. Manaé, lasse, démarre. L’école d’art est dans la ville d’à côté, à vingt-cinq minutes environ.
C’est une longue journée qui commence. La jeune femme regarde le paysage qui défile sur le pare-brise. Il n’y a aucun nuage dans le ciel bleu. Les arbres reprennent peu à peu leurs couleurs et les fleurs commencent à peine à sortir de terre. Manaé se gare au petit parking de l’école, sous un arbre, sûrement un chêne. Elle sort de sa voiture et se dirige vers la bâtisse. Elle pose son sac et sa veste en jean dans le casier à son nom.
Elle ouvre la porte de l’atelier. La pièce ressemble à un grand salon dans lequel sont disposées plusieurs armoires dont celle des toiles ou celle du matériel comme les pinceaux ou les pochoirs. Il y a également de nombreuses tables en bois tachées de peinture et d’encre noire. Des tabourets ainsi que quelques chaises complètent ce modeste décor. La jeune femme salue les autres artistes.
Elle s’assied sur un tabouret en face d’une table libre, occupée seulement par un verre d’eau et quelques pinceaux oubliés. Après plusieurs minutes, le professeur arrive. Manaé ne l’apprécie pas beaucoup mais c’est tout de même un bon professeur. On dit que c’était un artiste reconnu il y a une trentaine d’années pour ses peintures plutôt psychédéliques.
Il enseigne aujourd’hui pour donner l’envie et l’inspiration à de futurs créateurs comme lui. On raconte aussi qu’il continue de peindre pour la vente, que les riches propriétaires de ses anciennes œuvres passent toujours commande. A en juger par les cheveux grisonnants sur ses tempes et les poils blancs sur sa barbe, il a l’air d’avoir une cinquantaine d’années.
Il possède beaucoup de connaissances dans le milieu artistique et chaque conseil donné est précieux et peut tout changer dans un dessin. Il fait face à ses élèves, réunis en arc de cercle autour de lui. Il annonce le sujet d’aujourd’hui: la peur. Il demande à chacun d’illustrer la peur qu’elle soit concrète ou abstraite. Le choix des matériaux est libre, il faut simplement que ce soit créatif. Manaé réfléchit.
De quoi a-t-elle peur? De tout. Cette réponse est évidemment trop vague. Des araignées? Trop populaire. Elle remarque aussi que quelqu’un a déjà pris cette solution. La peur du regard des autres? C’est une bonne idée mais peut-être trop abstraite,… comment la représenter? La peur d’échouer? Même constat. Elle regarde autour d’elle et voit que tout le monde a déjà commencé.
Certains utilisent de la peinture acrylique, d’autres de l’encre ou encore simplement un crayon. Que choisir? Tout en réfléchissant, elle croise du regard un reflet dans l’une des larges fenêtres qui décorent la salle. Elle a enfin trouvé! Ce qui lui fait peur, c’est ce monstre qui la fixe droit dans les yeux, sans bouger un seul membre. Elle prend alors un grand miroir dans l’armoire.
Elle va devoir affronter cette créature qu’elle ne peut pas regarder plus de quelques secondes. Elle va devoir affronter le monstre. Pendant qu’elle réfléchit sur la façon de commencer son œuvre, un jeune homme s’assoit à côté d’elle. Il lui lance un chaleureux “Salut!”, ce qui ne manque pas de faire sursauter notre artiste. Elle le reconnaît et le salue en retour.
Il vient quelquefois se placer à côté d’elle pour bavarder. Manaé aime bien son humour et son air constamment joyeux. Tous les élèves de la classe l’apprécient, de même pour le professeur. L’homme, ne pouvant supporter le silence, s’intéresse alors au sujet de la jeune artiste. Elle lui répond qu’elle va dessiner ce qui la hante depuis plusieurs années.
Elle a piqué la curiosité du jeune homme. Il souhaite, à présent, en savoir plus. Il lui demande davantage de précisions. Elle hésite puis décide finalement de tout lui raconter. Peut-être que ça l’aidera, qui sait?
E.M.