Ou plutôt, une plante bien particulière observe ses voisins. De récentes recherches apportent des arguments à l’idée d’une “vision végétale”…
À la rencontre de Boquila trifoliolata
De son petit nom B. trifoliolata, cette plante grimpante pousse en Amérique du Sud, dans des conditions très humides. Rien de bien impressionnant, elle ressemble même presque à une banale plante d’appartement, mais c’était sans compter son aptitude hors du commun dans le règne du végétal…
Sept ans avant l’expérience qui a été récompensée cette année du prix Ig Nobel, donc en 2013, des chercheurs en biologie (E. Gianoli et F. Carrasco Urra) ont remarqué que les feuilles de B. trifoliolata semblaient imiter la forme des feuilles d’autres plantes environnantes. Possible transmission de signaux moléculaires volatiles entre plantes ou “transfert horizontal de gènes” ? Les hypothèses formulées ont récemment évolué grâce à une expérience menée en laboratoire en 2020 à l’université de Bonn en Allemagne (par les chercheurs Jacob White et Felipe Yamashita). Les feuilles de B. trifoliolata ont imité… une plante en plastique ! Et pour que tout soit clair : non, une plante en plastique ne porte pas de gènes et n’envoie pas de signaux moléculaires.
Une vision végétale…
On savait depuis longtemps que les plantes pouvaient “détecter” la lumière. Vous pouvez même réaliser une expérience simple chez vous : placez une petite plante dans une boîte à chaussures posée verticalement, avec une fenêtre aménagée en haut. Si vous mettez des petits obstacles dans la boîte (comme des étagères qui ne bloquent pas complètement l’accès à l’ouverture en haut), vous verrez que la plante pousse toujours de manière à trouver un chemin vers la fenêtre en haut de la boîte.
Cependant, une “vision végétale” comme celle de B. trifoliolata n’avait jamais été constatée auparavant, et son origine reste encore à expliquer. Comme l’a dit un des deux chercheurs responsables de l’expérience au cours de la cérémonie du prix Ig Nobel qui les a distingués cette année, au sujet de B. trifoliolata : “How do they do that? We have no idea.” (Je vous laisse chercher la traduction…)
Vous avez dit Ig… Nobel ?
Le prix Ig Nobel, qui existe depuis 1991, récompense des recherches qui font “d’abord rire, puis réfléchir”. Dix prix sont décernés chaque année, dans des domaines qui se rapprochent de ceux des prix Nobels. À l’origine, c’était un prix “promotionnel” pour une revue (Annals of Improbable Research), même si entre-temps le prix a acquis plus de crédibilité scientifique qu’à ses débuts. L’expérience sur la vision des plantes en est un exemple. Elle semble d’abord farfelue, mais elle ouvre la voie pour d’autres recherches dans ce domaine. Ma préférence personnelle du prix le plus drôle va cependant à celui de physique de 2017, pour l’étude très sérieuse de M.A. Fardin (Université de Lyon) sur la rhéologie de Felis catus… autrement dit, le chercheur qui a publié cette étude a analysé la “fluidité” des chats, pour déterminer s’ils sont solides ou liquides ! Avec des photos à l’appui.
Néanmoins, le prix Ig Nobel n’a pas abandonné son côté humoristique et même parfois très ironique. Ainsi, en 2020, le prix d’éducation médicale a été décerné à neuf chefs d’Etat, dont Boris Johnson, Donald Trump et Vladimir Poutine “pour avoir utilisé la pandémie de Covid-19 afin de démontrer que les politiciens peuvent avoir un effet plus immédiat sur la vie et la mort que les scientifiques et les docteurs”… Au cas où vous vous demanderiez, ils ne se sont pas rendus à la cérémonie.
A.W.
Sources :
Site officiel des Ig Nobels, annales des prix depuis 1991 (jetez-y un œil, il y a des pépites !) : en anglais, mais la même liste est disponible sur Wikipédia en français
https://improbable.com/ig/winners/#ig2020
Rapport de recherche sur la vision de B. trifoliolata (en anglais)
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15592324.2021.1977530#abstract
Rapport de recherche sur la rhéologie des chats (en anglais)
https://www.drgoulu.com/wp-content/uploads/2017/09/Rheology-of-cats.pdf