L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur a été signé par la présidente de la Commission européenne vendredi 6 décembre. De quoi s’agit-il ? La France ressort-elle gagnante de ces accords ? Décryptage

Le Merco-quoi ?

Le Mercosur ! Le Marché commun du Sud (Mercado Común del Sur en espagnol) réunit la plupart des pays d’Amérique du Sud (Brésil, Argentine mais aussi Uruguay, Paraguay et Bolivie) et est, comme son nom l’indique, un marché commun, c’est-à-dire une zone économique entre des États ayant aboli leurs droits de douane, et donc permettant le libre-échange des marchandises. C’est selon ce même principe qu’a été fondée la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, avant qu’elle ne devienne aujourd’hui l’Union Européenne, qui est aussi une union politique, et pas seulement économique.

Les États du Mercosur, en Amérique du Sud
Et alors cet accord ?

Cet accord prévoit d’instaurer le libre-échange (suppression de 90% des droits de douane) entre les deux zones économiques, afin de favoriser au maximum les échanges commerciaux, ce qui serait, pour ses défenseurs, un moyen de favoriser la croissance économique de part et d’autre ; ce serait donc un accord “gagnant-gagnant” selon les termes d’Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne.

Mais alors d’où vient la contestation ?

Ce traité de libre-échange n’est en réalité pas aussi “gagnant-gagnant” que Mme Von der Leyen l’affirme : en effet, si en ouvrant les entreprises de part et d’autre à un marché plus grand, elles peuvent produire et commercer aisément, cela les expose également à la concurrence de toutes les autres entreprises du continent d’en face. En conséquence, toutes ces entreprises doivent baisser leurs prix pour attirer les clients, les produits sont donc moins chers pour nous, les consommateurs. 

Or, pour les firmes qui ne peuvent baisser leurs prix, il est impossible de survivre. Personne n’achète d’un produit si le même, moins cher, existe. Pour les pays du Mercosur, c’est le secteur agroalimentaire qui est le plus compétitif. Les producteurs sud-américains ont des contraintes écologiques (interdiction de pesticides, d’hormones pour l’élevage) et sociales (cotisations des ouvriers agricoles) bien plus faibles que les producteurs européens.Les agriculteurs européens, et notamment les Français (la France est la première puissance agricole d’Europe) dénoncent donc une concurrence déloyale, puisqu’ils subissent des contraintes légales bien plus lourdes qui les obligent à maintenir des prix plus élevés que leurs concurrents sud-américains. Il faut savoir que les agriculteurs français sont depuis de nombreuses années déjà en grande difficulté (avec un revenu mensuel moyen uniquement issu de l’agriculture tournant autour des 1045€, pour des horaires de travail excédant largement les 35 heures). Cette ouverture à la concurrence sud-américaine est donc une grave menace pour la filière agricole française, ce qui explique en partie que la France ait été l’un des seuls pays à s’opposer au traité.

Mais alors qui y gagnera ?

Il y a en effet des filières gagnantes, en France, les vignerons notamment auraient à gagner à pouvoir exporter sans droits de douane vers le Mercosur, mais ces secteurs restent marginaux par rapport aux filières clés de la viande bovine, du maïs, ou encore de la volaille.

Au niveau européen, c’est en particulier l’industrie allemande, très compétitive, qui bénéficierait de la levée des droits de douane vers une région qui peut difficilement rivaliser avec son industrie, notamment dans les domaines automobiles mais aussi des machines-outils. L’industrie allemande, fortement exportatrice, est en effet à la recherche de débouchés tandis que Donald Trump promet quant à lui d’augmenter fortement les droits de douane sur les produits européens, dès janvier.
On assiste donc à une totale opposition au sein même de l’Union européenne entre la France,et le reste des États-membres, l’Allemagne en tête pour des raisons économiques, mais aussi l’Espagne, dont les liens avec l’Amérique du Sud sont historiquement très forts, et qui espère également pouvoir exporter médicaments et produits manufacturés, ce qui compenserait les pertes dans la filière bovine.

Que cela révèle-t-il ?

Ursula von der Leyen (allemande), Présidente de la Commission européenne (principal organe décisionnel de l’UE) a ratifié le traité de libre-échange, le 6 décembre dernier à Montevideo (Uruguay), ce qui permet techniquement son entrée en vigueur, même si les Parlements de chaque État doivent désormais retranscrire le contenu du traité dans leur loi nationale.

Cette décision a été rendue possible par le vote “à majorité qualifiée” au sein des Institutions européennes : en effet, traditionnellement les décisions majeures (et en particulier politiques) doivent être prises à l’unanimité. Or, ici la Commission européenne a séparé le contenu du traité en deux parties, une politique (sur le rapprochement entre les deux blocs) qui reste soumise à cette règle, et une partie économique, qui peut être adoptée à la majorité qualifiée, c’est-à-dire avec une majorité d’États-membres dont la population représente 65% au moins de celle de toute l’Union. Avec cette méthode, la France seule (ni même avec la Pologne, qui a également émis des réserves) n’a pas atteint la “minorité de blocage” de 35%. Cette ratification intervient également dans un contexte de crise politique en France, puisque le gouvernement de Michel Barnier a été censuré deux jours seulement auparavant par l’Assemblée Nationale. Impossible donc pour la France d’être dans une posture suffisante pour repousser la ratification.

En profitant de la crise politique en France, les institutions de l’UE, représentées par Mme. von der Leyen, prennent sciemment une décision contre le gré des Français, largement opposés à l’accord, alors même que cette opposition a largement été relayée par la diplomatie française jusqu’à Emmanuel Macron, pourtant europhile assumé. On assiste donc à la perte de la souveraineté des Français sur un sujet pourtant capital, au profit d’institutions non-élues (les commissaires européens sont nommés et inconnus du grand public), qui, alors qu’elles sont censées “promouvoir l’intérêt général de l’Union et prendre les initiatives appropriées à cette fin” (article 17 du Traité de Maastricht), prennent en l’occurrence une décision qui n’avantage que certains États, au sein de ce qui a tout d’une Désunion européenne.

Au lieu de chercher un quelconque compromis, alors que la diplomatie française demandait par exemple la mise en place de “clauses miroirs”, qui auraient contraintes les producteurs du Mercosur aux mêmes normes que les producteurs européens, la Commission européenne s’est empressée de ratifier tant qu’elle le pouvait un traité controversé et mettant en péril de nombreux citoyens européens. 

Car si la France s’est opposée frontalement au traité, il en est de même pour les agriculteurs de presque tous les pays membres, même les Espagnols et les Allemands. Cependant, l’agriculture n’a pas une si grande importance dans ces pays qu’en France, et les gouvernements ont préféré privilégier d’autres secteurs, et “sacrifier” le secteur agricole pour permettre une croissance économique globale, au prix d’une dépendance accrue aux importations sud-américaines.

La ratification de ce traité, ce n’est pas seulement un coup bas de l’UE envers le gouvernement français, ni même la confiscation de sa souveraineté au peuple français. En réalité, cette décision est une trahison pour tous les citoyens européens. Non seulement les agriculteurs, mais tous ceux que la destruction de l’environnement menace.

En effet, le grand absent de ces négociations, c’est bien l’environnement. Si Ursula von der Leyen, dans son discours suivant la ratification, promet que celui-ci permettra de “combattre la déforestation” et de “respecter les accords de Paris” au travers notamment de la coopération politique, les effets du libre échange seraient écologiquement désastreux, avec évidemment une augmentation du transport maritime entre les continents, mais aussi sur les 6 premières années suivant l’application du traité la déforestation de 700 000 hectares de la forêt amazonienne au total. De quoi faire réfléchir, quand on sait que l’étude d’impact de la Commission elle-même prévoit une croissance du PIB total des pays membres sur 10 ans de… 0,1%.

A. S.

Sources :

Données sur la croissance envisagée, et l’importance des différents secteurs européens impactés par l’accord :

https://www.liberation.fr/economie/viande-contre-voitures-qui-a-le-plus-a-perdre-ou-a-gagner-si-laccord-du-mercosur-est-signe-20241121_VOGZ7DY6T5H3FMBCWC6OQXYSAA

Revenu moyen des agriculteurs :

https://www.ifrap.org/agriculture-et-energie/1-041-euros-par-mois-le-revenu-agricole-moyen-pour-55-heures-de-travail-hebdo 

Position des États-membres de l’UE sur le traité : 

https://www.france24.com/fr/europe/20241121-trait%C3%A9-avec-mercosur-france-tr%C3%A8s-isol%C3%A9e-union-europ%C3%A9enne

Niveau de déforestation (article de 2020) :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/09/17/l-accord-ue-mercosur-risque-d-accelerer-la-deforestation-selon-les-experts_6052604_3244.html